La cafetière « pharmaco-chimique » (1802)
La table a été mise avec De Belloy… ayant apposé son nom à la cafetière d’un neveu (fictif ?) qui la tenait certainement d’un ferblantier de Rouen, lui-même parti faire fortune à Paris avec l’idée d’un chimiste (Descroizilles). Le filou ferblantier dont l’histoire a oublié le nom.
Ça se poursuit sur la même lancée, avec des preuves écrites cette-fois, car 1800 marque la fin des lumières dont le premier signe est l’apparition des brevets…
Ainsi, sous le titre de «Cafetière pharmaco-chimique à infusion», on retrouve en 1802 le tout premier brevet (à priori mondial) de cafetière.
Il est enregistré sous trois noms: Denohe, Henrion et Rouch (respectivement Propriétaire aux carrières de Charenton – Dpt de la Seine, Lampiste, et Médecin à la faculté de Montpellier).
La demande de brevet de 1802 (source: « Archives INPI »).
On n’apprend pas grand chose sur cette cafetière dans le brevet , le document officiel faisant à peine une demi-page et ne comportant pas de description ou de dessin (un modèle de cafetière ayant été déposé en preuve aux Arts et Métiers)… mais on trouve, dans le même dossier, un document intéressant.
Le sieur Rouch a en effet rédigé une demande de perfectionnement en 1810 où il prétend être le seul inventeur et y clamant qu’Henrion, fabricant de la dite cafetière, l’a floué en profitant seul du brevet à Paris. Ça vous rappelle quelque chose ?
Il y demande « de vouloir bien [l]’autoriser à faire fabriquer (par qui bon [lui] semblera) les dites cafetières qui seront sans contredit beaucoup plus simples et beaucoup plus commodes que les premières que le Sieur Henrion a d’ailleurs mal exécuté. »
Bref, il l’avait amère… d’autant que l’extension lui a été refusée (le brevet étant déchu).
Filou de ferblantier… ou docteur fuyant de la cafetière ?
On ne retrouve à peu près rien sur Pierre-Joseph Denohe (parfois orthographié Desroches), qui n’était certainement que le fondé de pouvoir de la demande de brevet.
Joseph-François Henrion « le jeune », quant à lui, domicilié au numéro 19, rue de la Loi (aujourd’hui rue Richelieu), apparaît après 1800 dans l’Almanach du commerce de Paris comme ferblantier/lampiste et a déposé, un an plus tôt, un brevet de «Lampes à tuyaux et à courants d’air». Un habitué, donc, des tout nouveaux rouages administratifs.
¹
Quant à Rouch, il s’agit selon toutes vraisemblances de Pierre Rouch/Rauch mentionné par l’Académie des Sciences pour y avoir présenté en 1803 un mémoire (un peu foireux, aux dires même du comité d’évaluation) intitulé «Observations sur les vices de la préparation ordinaire du café et sur les moyens d’y remédier».²
¹
La description de la cafetière pharmaco-chimique se trouve dans un autre document, « Le nouveau dictionnaire d’histoire naturelle appliquée aux arts » vol. 4 (1803), p78 »… où elle est attribuée à Henrion :
« Cette cafetière, contient, dans son intérieur, une boite cylindrique à jour, laquelle renferme une grille à trois plans perpendiculaires, entre lesquels se place, par proportion, le café afin d’éviter le trop grand entassement. On le torréfie comme à l’ordinaire, et an lieu de le moudre, ce qui en diminue la qualité, on se contente de le broyer. La cafetière est à double fond; à sa superficie se trouvent deux orifices ou l’origine de deux conduits. Dans l’un et l’autre, et lorsque le café est dans la grille interne et bien couvert, on verse de l’eau bouillante, d’abord par le conduit qui aboutit au corps intérieur où le café est déposé, ensuite par celui qui donne dans l’intervalle compris entre les deux corps. On rebouche les orifices pour empêcher l’évaporation. Après vingt ou trente minutes d’infusion, on soutire la liqueur par un robinet, placé au bas de la cafetière. Le café, ainsi fait, offre une belle couleur dorée; il conserve le goût du fruit, et il a plus de parfum et de mordant que le café ordinaire.»
Ce à quoi devait ressembler la cafetière pharmaco-chimique d’après sa description.
Henrion étant lampiste, il est fort probable qu’il y ait eu une « lampe à esprit de vin » en-dessous pour tenir au chaud le bain-marie.
Rouch aurait-il vu la cafetière de Descroizilles chez Chaptal (lui aussi scientifique de Montpellier) et n’en aurait que partiellement compris le principe ? Ou tenait-il vraiment quelque chose de nouveau ? Les cafetières de De Belloy et d’Henrion sont en tout cas différentes dans leur principe de fonctionnement (les deux cafetières sont même comparées dans le « Manuel de l’amateur de café, ou l’Art de cultiver le cafier, de le multiplier etc…» de Louis Clerc en 1828).
Enfin, le ferblantier Henrion était-il le filou de Rouen ?
Dans les archives, on trouve sa trace à Paris vers 1800 et, en 1804, comme étant le premier (sinon un des premiers) manufacturier de cafetière répertorié (sous «Quinquets – Distillatoire à café»)…
À vous d’échafauder votre propre scénario: vous avez comme choix de personnages Descroizilles, De Belloy, Chaptal,³ Henrion et Rouch et comme armes l’alambic, le quinquet, l’encensoir, la cafetière et le saumon.
À suivre…
___________________________________
¹ Source: « Archives INPI », avec leur aimable autorisation.
² Dans son mémoire de 1803 (résumé dans les Procès-verbaux des séances de l’Académie des sciences T II, p. 408), Rouch recommandait de ne pas pousser la torréfaction, de broyer plutôt que de pulvériser (moudre) les grains et y plaidait pour l’infusion plutôt que la décoction. On retrouve deux de ces trois éléments dans le descriptif d’invention… dont le principe se situe entre la De Belloy (si la réserve de café était bien surélevée) et une sorte de Bodum, avec bain-marie intégré.
³ En 1793 il participe à la création des Arts et Métiers et, de 1801 à 1804, il est ministre de l’intérieur… c’est donc lui qui délivre les brevets.