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Archives Mensuelles: octobre 2015

Ascenseur pour l’expresso (Episode 16)

Ôde à l’Aluminium (Acte II, Moderato)

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Affiche Italie Fasciste
Affiche encourageant les Italiens à acheter national sous l’Italie fasciste de Mussolini (vers 1930).

De 1919 à 1922, l’Italie vit une grave crise économique et sociale. Les chemises noires imposent leur loi à l’aide de violents coups d’éclat (persécution des pacifistes, des socialistes de gauche et des mouvements syndicaux ouvriers). Benito Mussolini qui vient juste de retourner sa veste s’impose comme leader de ce mouvement et se retrouvera bientôt à sa tête, puis à la tête de l’Italie tout entière après la marche sur Rome de 1922. Le régime fasciste débute en 1925, il va radicalement changer le visage de l’Italie.

Roma -Autarchica 1938
Roma – Mostra autarchica del minerale italiano del 1938 – Padiglione Alluminio [ Source: SIRBeC ].
Taxe sur les machines à café expresso 1927
Décret concernant la taxe sur les machines à café expresso (Gazzetta Ufficiale del Regno d’Italia N. 110 du 12 Mai 1927).

Hostile aux rassemblements dans les cafés, Mussolini impose lui-même à partir de 1927 une taxe sur les machines à café espresso utilisées dans les lieux publics… ce qui n’est pas pour encourger l’industrie des grosses machines, mais favorise grandement les petites domestiques.

Autarchia Santini 1930
Publicité de l’entreprise Santini pour des lampes pour mineurs affichant la devise « Autarchia » (vers 1930).

D’autre part, frappée par des sanctions économiques de la part de la Société des Nations après l’invasion de l’Éthiopie (en 1935), l’Italie se lance dans des programmes d’autarcie économique qui privilégie la production et l’achat de produits nationaux, et favorise notamment l’industrie minière de l’Aluminium.

Invasion de l’Éthiopie | La « Montecatini »
Affiches de propagande du régime fasciste concernant l’invasion de l’Éthiopie et l’entreprise chimique et minière « Montecatini ».

C’est dans ce contexte que se développent les industries minières et les lampes «Aquilas» de Santini, ainsi que leurs cafetières, mais aussi et surtout que nait la « Moka Express » de Bialetti, enfant et exemple de la nouvelle domination de l’aluminium dans l’industrie ménagère et symbole de la suprématie de l’Italie sur le berceau du fameux café Moka.

Crusinallo 1900
Piedimulera 1900
Cartes postales du début XXe de Crusinallo et Piedimulera, dans la vallée de l’Ossola.
Fonderie Necchi de Pavia 1930
Image d’une fonderie dans les années 30 (fonderia Necchi de Pavia, au sud de Milan). Photo de Guglielmo Chiolini.
Moule en fonte Bialetti
Moule en fonte réutilisable pour la fabrication de cafetières Bialetti en aluminium.

Difficile de sortir de la ligne officielle de la famille Bialetti puisque, pionnière et passée maître dans l’art de la publicité, elle est la seule à diffuser des informations entretenant la légende du père ou grand-père Alfonso. Ce que l’on sait de lui est qu’il a importé de France les techniques de moulage par gravité de l’aluminium, ayant passé sa jeune vingtaine dans des ateliers français (de 1910 à 1918). De retour en Italie, il travaille dans un atelier de Crusinallo, dans la vallée d’Ossola, en 1919. Cette région aux pieds des montagnes, entre Milan et la Suisse, est le berceau à cette époque de l’industrie de l’Aluminium grâce à d’importantes ressources hydroélectriques, elle connait la naissance et l’essor d’entreprises comme Alessi (Crusinallo, 1921), Lagostina (Omegna, 1901), IRMEL (Cardini, 1928), Girmi/La Subalpina (Omegna, 1919) et Bialetti (Piedimulera, 1932 et Crusinallo, 1919 puis 1932).

En-tête Fratelli Bialetti - Metallurgica Lombarda Piemontese
En-tête de la « Metallurgica Lombarda Piemontese » dei “Fratelli Bialetti”, 1932.
Metallurgica Lombarda Piemontese
Dépôt de marque de la compagnie S.A. Metallurgica Lombarda Piemontese, 1934 [ Source : OPAC].

Ce que l’on apprend en fouillant un peu, c’est qu’en 1928 existait en France un modèle de cafetière en aluminium très similaire à celui d’Alfonso (et même dès 1926 si cette « cafetière Express » était la même que celle produite par les établissements Erco, d’Asnières).

Cafetière
Article sur le Salon des Arts Ménagers de la foire de Paris, journal Le Gaulois, 19 mai 1926.
Cafetière
Publicité pour la Cafetière « Express », revue Rustica (Revue universelle de la campagne), 1928.
Cafetière
Cafetière Express en aluminium, Base des brevets dessins et modèles, 1929 [ Source: INPI ]

La cafetière en aluminium annoncée dans la revue « Rustica » (Revue Universelle de la campagne) correspond en tous points au modèle « Cafetière en aluminium dite « Express » » (le manche en moins) déposé par un certain J.-P. Balbo (197, rue Saint-Martin, Paris) le 30 janvier 1929.

L’innovation d’Alfonso est d’avoir trouvé un moyen de contrôler le flux de café sortant du filtre à l’aide d’une cheminée finissant en forme de champignon (soit-disant en 1933, mais son premier brevet ne sera déposé qu’en 1950). Cet éclair de génie lui serait venu en regardant le principe d’une lessiveuse. Une lessiveuse française, fonctionnant sur un principe inventé en 1889 par François Proust (présentée à l’exposition universelle de Paris et vendue sous de nombreux noms : « La Française », « La Centrale », « La Préférée », etc.). Enfin, si l’on en croit la légende auto-entretenue par le clan Bialetti (et connue pour contenir de nombreuses contre-vérités).*

Lessiveuse Française de François Proust
La lessiveuse Française (l’invention de François Proust) « avec tube injecteur au milieu », publicité de 1900.

Alors, toujours aussi italienne la Moka ?

De même pour la cafetière à piston dite « French press », on peut noter que les Français avaient depuis au moins 1892 la Caféolette de Louis Forest, cette cafetière très proche de la cafetière à piston, mais qui était plutôt destinée à être utilisée avec du lait. Elle a connu un grand succès entre 1900 à 1925, ce qui est certainement à l’origine du mot « French press ».

La Ménagère 1892 - La Caféolette 1925
Publicité pour « La ménagère », 1892 (à gauche) qui sera rebaptisée plus tard « Caféolette » de Louis Forest (à droite) journal « Recherches et inventions » (Paris, 01/02/1925).

Les Italiens de Melior, comme dans le cas de la Moka, n’ont fait que rajouter la petite touche qui l’aura rendue indémodable. Pas la « French touch », qui est plutôt du domaine de l’innovation, mais cette fameuse touche Italienne, dans la finition et le design, qui fait toute la différence.

Mais revenons aux Bialetti… il y a en effet deux sinon trois Bialetti : Alfonso, Cesare et Luigi. Luigi le père d’Alfonso, certainement à l’origine du premier atelier mécanique de Crusinallo, Alfonso formé en France aux techniques de l’aluminium qui aurait eut l’éclair de génie devant le principe de fonctionnement de la lessiveuse de sa femme Ada, et Cesare… dont on ne sait pas grand-chose. Il faudrait enquêter sur le terrain, mais je pencherai pour l’hypothèse d’un Cesare frère d’Alfonso.¹ Il travaillait à l’époque pour l’entreprise « Fratelli Bialetti » devenue Metallurgica Lombarda Piemontese (rattachée à la Montecatini) et, voyez-vous ça, était passionné de machines à café. Il serait notamment à l’origine de la Vesuviana (premier brevet Bialetti de l’histoire, déposé le 19/02/1946 par l’entreprise « S.A. Fratelli Bialetti » de Piedimulera).

La Vesuviana - Juvara
Publicité de l’entreprise Juvara pour la cafetière « Vesuviana », années 50.

Dans un récit d’Ester Maimeri Paoletti qui se passe en 1944 et où elle raconte ses souvenirs de résistante, on retrouve le personnage de « papà Bialetti » (Cesare, père de son amie Alba) aux prises avec sa propre guerre : réussir à dompter l’aluminium pour en faire une cafetière domestique, faisant des essais expérimentaux dans sa propre cuisine où le risque d’explosion était bien présent (d’où, peut-être, son nom de volcan).²

O.M.G. « Brevetti Bialetti »
Dépôt de marque de la compagnie O.M.G. « Brevetti Bialetti », 1953 [ Source : OPAC ].
Caffexpress O.M.G.
Modèle Caffexpress de la compagnie O.M.G. « Brevetti Bialetti », années 50.

Le modèle « Vesuviana » a ensuite été commercialisé par OMG (S.A. Officine Meccaniche Gozzano « Brevetti Bialetti »), la même entreprise qui produira dans les mêmes années la « Caffexpress », un modèle très similaire à la Moka d’Alfonso. Ces machines en aluminium produites par OMG ont connu un succès international et étaient distribuées en France par Juvara dans les années 50.

On a donc un Bialetti (Alfonso) qui se trouve en France en pleine Première Guerre mondiale à apprendre les techniques de l’Aluminium, on a un Bialetti (Cesare) qui travaille à Piedimulera, en pleine Seconde Guerre mondiale, sur un modèle de cafetière en aluminium.³ On retrouve Cesare sur des brevets pour modèles (appareil à glaçon, moulin à café), dans les années suivantes, puis en France dans les années 50 sur un autre brevet de cafetière sur lequel nous reviendrons.

Moka Express | Bikinette | Vesuviana
Premiers modèles de cafetière d’Alfonso Bialetti « d’après la légende » (à gauche)* et Cesare Bialetti (à droite). Au milieu, « La Bikinette », de source inconnue (collection de Lucio del Piccolo).

Pour épaissir le mystère, il existe un modèle de cafetière en aluminium qui est le parfait hybride entre la « Moka » (par son design octogonal ainsi que la poignée en bois du récipient à café) et la « Vesuviana » (par sa vis frontale et son groupe aux attaches identiques, faisant partis du brevet et modèle originaux) tout en ayant des similitudes avec le premier modèle de Girdano Robbiati (par son principe de fonctionnement avec le réservoir d’eau situé en dessous du pot). Giordano Robbiati avait déposé les premiers brevets pour sa cafetière dite « Atomic » les 14 et 18 septembre 1946 (IT26168 et IT25920) soit 7 mois après le brevet Cesare Bialetti (ITX251621 déposé le 19 février 1946).

Service Hénin frères 1932
Service à thé et à café « Hénin et frères », 1932.

Le modèle hybride Alfonso/Cesare (Moka Express/Vesuviana) s’appelle « La Bikinette »,⁴ un nom vraisemblablement français (le mot « deposé » apparaissant en dessous, sur le manche du porte-filtre). Bikini, théâtre des essais nucléaires américains de juillet 1946, ce nom utilisé pour désigner le maillot de bain deux pièces dévoilé le 5 juillet 1946 par l’ingénieur Français Louis Réard et dont le précurseur été le maillot « Atome » créé en 1932 par Jacques Heim. Bikini/Atome, Bikini / début de l’aire atomique, Bikinette/Atomic… voilà un parallèle bien troublant. Tout ça ressemble à un jeu de piste, un jeu de mots diront certains, qui met en scène des cafetières en aluminium bien explosives à leurs débuts (au sens propre comme au figuré) et qui situe la Bikinette dans la deuxième moitié de 1946, tout comme la Vesuviana et l’Atomic.

Atomic A et B - Brevetti Bialetti
En-tête de la compagnie de Gordiano Robiatti en 1953 (haut) et badges sur des modèles Atomic provenant de différents lieux (bas).
Giordano Robbiati - Modèle
Dessin du modèle original de Giordano Robbiati (identique à celui apparaissant sur le brevet de 1946) et cafetière express en aluminium, modèle A.

Alfonso Bialetti était un ouvrier venant de l’industrie de l’aluminium s’étant intéressé au design pour son modèle de cafetière (inspiré dit-on des services à thé et café d’Hénin et frères, encore des français) alors que Giordano Robbiati était plutôt un designer de génie s’étant intéressé à l’industrie de l’aluminium pour réaliser ses créations (presse-agrume, appareil à glaçons, cafetières). Cela explique que Bialetti ait cherché à contrôler la production de ses cafetières, bâtissant même (sous l’égide de Renato) une usine ultra moderne dans les années 50, alors que Robbiati reposait sur plusieurs ateliers de production et accordait vraissemblablement des licences à l’étranger (Autriche, Hongrie, Espagne).

Deux modèles différents qui ont connus tous deux un grand succès, à la différence près que la production des cafetières Robbiati s’est éteinte avec la disparition de leur créateur alors que la « Moka Express » est encore produite aujourd’hui par les descendants d’Alfonso. Les cafetières n’ont presque pas changées en 65 ans, toujours en aluminium, moulées et inspectées individuellement.

Renato Bialetti

Et pour finir, un petit clin d’œil du si attachant bonhomme à moustache …

À suivre…

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¹ Cette hypothèse a été confirmée par la fille de Renato elle-même, Tina, comme cela apparait sur le blog de Lucio où il reprend l’extrait de « La staffetta azzurra ». Cesare était en fait le demi-frère d’Alfonso et ils avaient travaillé ensemble à la MLP (Metallurgica Lombardo Piemontese) accompagné d’un autre frère d’Alfonso, Camillo. Cesare a eu six fils, parmi lesquels certains des fondateurs de l’entreprise OMG qu’il a aidé à mettre en place.
² Voici l’extrait en question (en italien) : «[…] ma anche in casa Bialetti c’è guerra, una guerra molto personale di papà Bialetti. Lui, il cavaliere Cesare,[*] ha una piccola fabbrica di manufatti metallici a Piedimulera e, dato che di questi tempi è più prudente starsene tappato in casa, passa il suo tempo a collaudare un nuovo tipo di caffettiera di sua invenzione. Non si può più andare in cucina senza il via libera; è pericoloso, ci si può trovare di colpo nel bel mezzo dell’esplosione e dell’eruzione di quel diabolico arnese. Immancabilmente, come arrivo, il cavaliere mi dice: «Ti preparo un buon caffè».
Con Alba e qualcuno dei suoi fratelli aspettiamo ridendo in salotto. Anche per questa volta niente caffè e la povera cucina, che ha assunto l’aspetto di un vero campo di battaglia, avrà qualche buco in più, segno dell’ennesimo fallimento di un’avveniristica caffettiera.
[*] Cesare Bialetti. A lui si deve l’invenzione della Vesuviana (in seguito diventerà la notissima Moka), della pentola a pressione, dello schiaccia-aglio. »
Maimeri Paoletti, « La staffetta azzurra. Una ragazza nella Resistenza. Ossola 1944-1945» – 2002.
³ À la fin de la guerre Renato, l’homme à moustache, était dans un camp en Allemagne, fait prisonnier à Mantova avec son bataillon, passé semble-t-il du côté des Alliés après l’Armistice du 8 septembre 1943. Il n’en reviendra qu’en 1945 pour relancer l’entreprise à grands renforts de publicités avec le succès que l’on sait.
⁴ La « Bikinette » sur le blog de Lucio et photographiée par Mikaël sur le sien Part 1, Part 2, Part 3 et Part 4.
* En 2024, il n’est plus possible d’affirmer qu’Alfonso ait été inspiré par le principe d’une lessiveuse, ni qu’il soit le créateur de cette cafetière octogonale en 1936 (celle avec une base réentrante). Cela ne relève que d’histoires inventées par Renato, le fils d’Alfonso, pour entretenir la légende familiale. Ce modèle, Alfonso n’en est pas l’auteur mais le doué fabricant que son véritable créateur, Amleto Otello Spadini l’avait mandaté pour produire en 1938-39 d’après un brevet déposé en 1937 (et commercialisé sous le nom de Triplerapid Miracol 900).
L’histoire hoquette décidément, puisque derrière la version officielle, se cache encore un inventeur floué, une mémoire bafouée, un héritage pillé. L’essentiel est que la vérité finisse toujours par resurgir.
Pour plus de détails, se référer au livre de Mauro Lapetina, «La caffettiera perduta» (Octobre 2023), ainsi que son blog.
Merci à mon ami Lucio Del Piccolo de m’avoir révélé cette enquête.
 
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Publié par le 22 octobre 2015 dans Histoires et Histoire

 

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Ascenseur pour l’expresso (Episode 15)

Ôde aux Créateurs (Acte I, Allegro)

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Affiche Orso
Publicité pour les modèles Orso de Figli Sanitini, 1919.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les soldats qui ont la chance de rentrer chez eux ont pris l’habitude du mauvais vin et du mauvais café. Loin d’une coïncidence, l’« espresso » (désignant tout autant la boisson sortant des grosses chaudières cylindriques que des petites cafetières domestiques) se développe et se répand comme trainée de poudre. Ce mot, « espresso », dont la première trace semble avoir traversé le temps grâce à la célèbre photo de la foire de Milan de 1906,  remplace petit à petit le mot « Express », utilisé jusque-là. La transition d’Express à Espresso est à l’image de la dissolution des derniers liens avec la glorieuse époque française : si le terme Express puis Expresso a perduré en France, il en va différemment chez son voisin italien… et c’est là, dorénavant, et presque exclusivement que la partition va désormais s’écrire.

Cafetière Giussani
Cafetière de Leopoldo Giussani, vers 1900.
Lampe et cafetière Aquilas
Lampe Aquilas, cafetière Aquilas et cafetière Adele de l’entreprise Fratelli Santini (vers 1910, 1920 et 1930).

De 1898 à 1947, le développement des cafetières italiennes est fulgurant. Profitant certainement d’un repli des populations sur elles-mêmes, d’une envie de retrouver un peu de confort chez soi, le nombre de cafetières et incidemment de marques et d’officines produisant des machines à café explose. Les villes de Turin et de Milan se font alors compétition pour tenir le haut du pavé, mais c’est dans une ville plus éloignée que l’histoire prend sa source.

En-tête Fratelli Santini
Usine Fratelli Santini
En-tête Fratelli Santini
En-tête Fratelli Santini
Entreprise Fratelli Santini, différentes en-têtes de l’entreprise de 1900 à 1940.

Avant l’arrivée de l’électricité, phénomène qui participera aussi grandement à l’essor des petites cafetières, le chauffage se fait sur le foyer ou grâce à un brûleur, comme sur les cafetières de Leopoldo Giussani (Milan) ou celles des frères Santini et leur modèle emblématique « Aquilas ».

Lampes Fratelli Santini
Réchauds Fratelli Santini
Produits vendus pas Fratelli Santini, début XXe.

Fondée par Orfeo Santini en 1859 à Ferrara, dans le delta du Pô, l’entreprise des frères Santini (ses fils Silvio, Umberto et Paolo) fabrique d’abord des lampes à pétrole et à acétylène¹ puis des réchauds. Au tournant du siècle, c’est tout naturellement que l’entreprise se tourne vers la fabrication de cafetières en gardant les mêmes noms de marques que pour ses lampes : « Aquilas » pour la fratrie Santini et « Orso » pour les fils Santini (entreprise fondée par les fils Orfeo et Antonio de Silvio Santini, à sa mort en 1914).

Publicité Aquilas, Fratelli Santini
Publicité pour « Aquilas », entreprise Fratelli Santini 1908 et 1924.
Publicité Orso, Figli Santini
Publicité pour « Orso », entreprise Figli Santini 1919.

Leur succès en inspire d’autres à Ferrara : Stella, SIMERAC et Velox voient aussi le jour dans cette ville. Stella, marque de l’Officine Metallurgiche Sgarbi, Chiozzi & C., présente un peu le même parcours que Fratelli Santini² : fondée en 1924 par Gino Sgarbi et Girolamo Chiozzi, elle fabrique des lampes à acétylène puis étend ses activités vers la production de cafetière. En 1932 elle reprendra d’ailleurs l’entreprise Figli Santini après sa faillite³ (annoncée en 1929 alors qu’elle venait tout juste de lancer deux nouvelles marques : « Z » et, spécifiquement pour des cafetières, « Sport » qui n’existeront certainement jamais). L’entreprise Fratelli Santini, elle, continuera ses activités jusqu’aux années 1970.

Publicité Stella
Publicité pour « Stella », entreprise Scarbi, Chiozzi & Co, début XXe.

SIMERAC (acronyme de Stabilimento Industriale Materiale Elettrico Ragionier Antonio Cotechini) et Velox (la fabrique associée à cette marque enregistrée à Milan par un certain Rino Cazzanti était établie à Ferrara) produisent aussi des cafetières express de format familial munies de tubes de sortie, mais aussi des modèles avec porte-filtre.

Publicité SIMERAC
Publicité et brochure de SIMERAC, début XXe.

Remontant le fleuve Pô (le plus important fleuve d’Italie prenant sa source dans les Alpes et traversant le pays d’ouest en est en passant par Turin), ces cafetières envahissent bientôt toute l’Italie et, témoin de ce succès, on en retrouve encore aujourd’hui de nombreux exemplaires dans les brocantes.

Marques cafetières 1898-1947
Dépôt de marques pour des cafetières auprès de l’OPAC, de 1898 à 1947.

Plusieurs autres fabricants leur emboitent le pas et se mettent à produire des modèles similaires fonctionnant sur le même principe (soit celui de Rabaut, où l’eau est poussée par la force de la vapeur à travers la mouture et ressort par un tube) : Invicta, Select, Watt, Luxor, Omega, Simplex, Universal, Icea, MRT, Nea Lux, Zappia, Giussani, Vulcan et même les grandes marques comme Eterna, Victoria Arduino (avec la Venus Moka), La Carimali et La Pavoni.

Eterna Lutetia
Publicité pour Eterna et modèle Baby Lutetia de la marque fondée par Angelo Torriani, début XXe.
Cafetière Oikos
Publicité et modèle de la marque Oikos, début XXe.
Brevets pour Cafetière vapeur 1
Évolution des innovations sur les modèles de cafetière à vapeur domestiques
avec tube de sortie sur les brevets déposés entre 1881 et 1945.

D’autres s’orientent vers une configuration de type « porte-filtre » (le café étant placé dans un réservoir, juste à la sortie). On doit apparemment à l’allemand Eicke (comme en écho à Römershausen et avec un design rendant hommage au balancier de Gabet) cette configuration qui aura de beaux jours devant elle, puisque c’est cette lignée qui donnera, en particulier, la cafetière dite «Atomic» de Giordano Robbiati, si chère au cœur de mon ami Mikaël.⁴

Brevets pour Cafetière vapeur 2
Évolution des innovations sur les modèles de cafetière à vapeur domestiques
avec réservoir de sortie sur les brevets déposés entre 1881 et 1945.
Publicité Eicke
Publicité pour les modèles Eicke de 1897 et 1927.

Autre lignée et non des moindres, la branche « Moka », si chère au cœur de mon ami Lucio.⁵ Là aussi, la machine semble trouver sa source en Allemagne avec l’invention (de 1887) d’Ehrlich, baptisée « Vienna ». On connait aujourd’hui cette cafetière comme la cafetière italienne ou « Bialetti », sa forme emblématique (à deux étages et à facettes) trouve peut-être sa source dans une invention Allemande de 1913, celle d’un certain Richard Gross, ainsi que dans le design de McGuire (1926). Alfonso Bialetti aurait fondu sa première machine en Aluminium autour de 1933, avec des facettes déjà, mais avec une forme plus arrondie.⁶ Il n’enregistre le nom « Moka Express » qu’en 1948 et la marque n’est pas encore « Bialetti » mais « ABC » (pour Alfonso Bialetti Crusinallo, son lieu d’établissement). Ce n’est que dans les années 60 qu’est adopté le fameux bonhomme à moustache créé par Paul Campani dont le physique n’est pas sans rappeler le nouveau patron Renato lui-même (fils d’Alfonso).

Brevets pour Cafetière vapeur 3
Évolution des innovations sur les modèles de cafetière à vapeur de type cafetière italienne
sur les brevets déposés entre 1887 et 1931.
Publicité Vienna
Publicité pour le modèle Vienna, autour de 1900.
Publicité Vienna 2
Publicités de 1927 et 1928 pour des modèles de cafetières produits en Allemagne (type Vienna).
Atelier Bialetti
Atelier de fonte d’aluminium d’Alfonso Bialetti (à gauche) vers 1930.
Bialetti 1933
Premier modèle de cafetière des ateliers Bialetti, 1933.
Dépôts de marque Bialetti
Dépôt de marque de l’entreprise Bialetti de 1948 à 1960.
Brevet Bialetti 1950
Deuxième modèle d’Alfonso Bialetti et son premier brevet, 1950.

Pour compléter la gamme, finissons avec une note sur un principe qui avait été développé par des Français (Mayer/Delforge en 1852 et Lavigne en 1854). L’arrivée de la cafetière à piston telle que nous la connaissons aujourd’hui est le fait d’Italiens : Attilio Calimani, Ugo Moneta, Ugo Paolini et Bruno Cassol déposent des brevets pour ce type de cafetière entre 1928 et 1934. Les inventeurs sont tous associés à la famille Moneta (Ugo, Gemma, Alessandro et Giuseppe) qui possède la marque «Melior» de Milan.

Brevets cafetière Piston
Évolution des innovations sur les modèles de cafetière à piston sur les brevets déposés entre 1928 et 1934.
Publicités et dépôt de marque Melior
Publicités de 1936 et 1940 et dépôts de marque pour « Melior » auprès de l’OPAC 1929 et 1933.

Passage de flambeau encore une fois, décidément ce ne sont plus les français qui dictent la musique, à peine suivent-ils le tempo. Douce revanche, ce type de cafetière s’appelle encore aujourd’hui « French Press » en anglais.

À suivre…

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Je dois ici chaleureusement remercier Lucio del Piccolo de m’avoir donné accès il y a quelques années à sa fabuleuse collection et sélection de brevets de toutes provenances qui, après un peu de classement, m’ont permis de retracer l’évolution technologique des différents types de machines.
¹ Les débuts de l’entreprise Sanitini : «Santini, la storia».
² Les débuts de la marque Stella : «Stella, la storia» et sur le blog de Lucio del Piccolo «Stella da viaggio monotazza»
³ Voir l’article de Luccio Del Piccolo « Una orso davvero particolare ».
⁴ Toute l’information sur les modèles de Giordano Robbiati et d’autres créateurs d’importance est disponible sur le blog de Mikaël Janvier.
⁵ Voir son magnifique article sur l’invention de Bialetti «Intervista Tina Bialetti, Ottobre 2013».
Site official de Bialetti et «La prima Moka Bialetti» sur le blog de Lucio.
 
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Publié par le 11 octobre 2015 dans Histoires et Histoire

 

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La Porte Peinte

La Porte Peinte

La Porte Peinte

Imaginons que vous vous trouviez en Bourgogne, dans l’Yonne plus précisément et à Noyers-sur-Serein encore plus précisément. Dans cette cité, vous déambuleriez sur les pavés, vous arrêtant sur les détails d’architecture médiévale composant un ensemble qui en fait un des plus beaux villages de France.

C’est dans ces terres vigneronnes que je vous emmènerai boire… un café. Je ne veux pas vous détourner de la route des vins de la région, mais chaque plaisir a son heure et à l’heure du café, c’est le café.

La Porte peinte, puisque c’est de ce lieu dont je veux vous parler, est avant tout un centre pour les arts. Près d’une centaine d’artistes du monde entier y viennent en résidence et/ou y exposent leurs œuvres. Tous viennent chercher un environnement tout en quiétude, propice à la création. C’est aussi une boutique où on peut acquérir les créations des artistes résidents ou non mais ce qui m’a frappé en entrant, c’est la grande ardoise présentant les cafés de manière très détaillée ! Car si le centre héberge un salon de thé aux thés, tisanes et chocolat chaud hauts de gamme, le café est tout autant mis à l’honneur.

Oreste Binczak

Oreste Binczak

Ce sont Oreste Binczak et Michelle Anderson-Binczak qui animent ce lieu et c’est Michelle qui a choisi de servir des infusions provenant de grains du fameux torréfacteur londonien Has Bean. A l’issue de ses pérégrinations et dégustations en Europe, c’est le produit de cet artisan qu’elle a voulu nous faire savourer. « On l’a choisi parce qu’il nous plaît beaucoup ». C’est la meilleure des raisons et il y a de fortes chances que ce plaisir soit partagé par le plus grand nombre. Je pourrais venir ici chaque jour, déguster un café sans me lasser, en choisissant parmi la quinzaine de terroirs proposés. Un jour le Yirgacheffe Kochere, un autre pour vérifier si le « Funky » de la finca Limoncillo au Nicaragua est bien funky et qu’il développe bien les notes de vin rouge, comme le décrivent les notes de dégustation de la carte. A chaque jour son café !

Siroter son café au milieu des créations, ici Annette Fernando, prix Jerwood drawing (G-B)

Siroter son café au milieu des créations, ici celles d’Annette Fernando, prix Jerwood drawing (G-B)

On est bien, là

On est bien, là

Ici, le breuvage est préparé exclusivement en extraction douce, en infusion grâce à une cafetière Sowden. C’est un joli objet de porcelaine qui ressemble à une théière design, un récipient-verseur dans lequel le café infuse simplement, retenu par un filtre en inox. Ce dernier est percé de trous extrêmement petits (150 microns) qui permettent de moudre les grains fins sans avoir de particule en tasse et ainsi de moduler le rendu selon ses goûts. Cependant, il est conseillé de ne pas broyer le café trop finement, on perdrait en subtilité et les particules fines du café sont vraiment très fines et on en retrouve au fond de sa tasse quoiqu’il arrive.

Les cafetières

Les cafetières

Oreste et Michelle sont très satisfaits de leurs choix lorsqu’ils constatent la curiosité et l’intérêt des visiteurs pour les cafés gourmets ainsi préparés. Et quand vient le moment où on titube sur la route des vins, rien de tel qu’une halte ici pour se remettre d’aplomb et surtout vivre une expérience caféinée encore rare dans cette région.

La Porte Peinte, 8 rue de la Porte Peinte, 89310 Noyers-sur-Serein

 
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Publié par le 5 octobre 2015 dans Où boire les meilleurs cafés

 

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