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Ascenseur pour l’expresso (Episode 25)

Les précurseurs (5/5)

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Nous voilà arrivés au cœur de l’action : les origines de l’emploi du piston pour l’extraction du café…

Affiche Cassandre 1932-33
69. Affiche de Cassandre (Adolphe Jean Marie Mouron) pour le café « Le chat noir », 1932 et « La Maison du Café », 1933.

L’expansion du café en Europe à la fin du XVIIIe siècle coïncide avec l’avènement des sciences, en particulier la physique, la chimie et la pharmacologie. Une époque où de nombreux savants, tel Descroizilles, menaient toute sorte d’expériences pour l’obtention de composés et extraits de plantes. Il n’est pas surprenant de retrouver les premières utilisations du piston à cette époque. Il est plus étonnant de constater, pour le café,  que son emploi est si rare et que son arrivée à l’avant-scène prendra autant de temps.

Dictionnaire Chimie 1803 Cadet de Gassicourt
70. Appareil de filtration pour les huiles, Fig III du Dictionnaire de Chimie Charles-Louis Cadet de Gassicourt, Tome 3, 1803.³⁰

Pierre-François Réal (Comte Réal)

Signature Comte Réal

On connaissait depuis l’expérience du crève-tonneau de Blaise Pascal (menée en 1646 à la suite des travaux d’Evangelista Toricelli et l’invention du baromètre trois ans plus tôt), qu’une colonne d’eau assez haute pouvait développer une force capable d’agir comme une presse. Ce principe était utilisé depuis plusieurs années en Angleterre pour la filtration des huiles à travers du charbon³⁰ lorsque Pierre-François Réal eut l’idée de l’utiliser pour préparer des teintures et des extraits de plantes, dont le café.

Brevet Comte Réal 1815
71. «Appareils propres à clarifier les eaux, nommé filtre forcé», brevet 1BA867 de Pierre-François Réal, 1816. [Source : INPI]
Filtre-presse et Filtre-hydraulique de Réal
72. Dessin des filtres-presses de Réal dans une thèse de 1936.³¹

Pierre-François Réal, comte d’Empire, plus connu comme homme d’état, avait un lien assez fort avec les sciences dans sa vie privée.³² Révolutionnaire jacobin devenu proche de Napoléon Bonaparte, il dépose en France son invention intitulée « Filtre-Forcé » le 24 février 1815 (soit juste avant les «Cent Jours» et sa nomination comme préfet de Police). Elle est rapportée avec les honneurs en 1816, dans le Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, alors que Réal a fui aux États-Unis, changement de Régime oblige. C’est Charles-Louis Cadet de Gassicourt en personne (auteur du Dictionnaire de Chimie, membre de la Légion d’Honneur et secrétaire général de la société de pharmacie de Paris) qui se charge de rapporter l’invention auprès du conseil. On comprend à la lecture de ce compte-rendu que Gassicourt lui-même a beaucoup utilisé l’appareil, rebaptisée « Filtre-presse » ou « Presse-hydraulique ».

L’invention originale comprenait deux modèles différents : un filtre à colonne d’eau et un autre, plus compact à tube recourbé, à colonne de mercure. Les tuyaux étaient en plomb et même si le mercure n’était pas en contact direct avec le café mais poussait sur de l’eau ou de l’alcool dont était imbibé le café finement moulu et déposé sur un filtre (une plaque en métal percée de trous), on imagine mal un tel appareil utilisé aujourd’hui. Le but était de produire des extraits de façon tout aussi efficace mais plus rapide que les presses à vis, alors plus largement utilisées. La presse de Réal utilisait de l’eau froide et, dans son principe, est l’ancêtre direct de la machine à café géante de Loysel (1853).

Un troisième modèle présente un intérêt plus grand ici : il s’agit d’une des versions élaborée à la suite de discussions entre des membres du conseil et Réal. Pour moins d’encombrement et une plus grande mobilité, des modifications sont apportées au filtre-presse présenté : la colonne d’eau est remplacée par une sorte de pompe à eau avec un piston et un bras de levier (muni d’un poids). Il est spécifié que l’avantage supplémentaire de ce système était de pouvoir varier la pression au cours de l’extraction… et l’ancêtre de la « levier » à cuve ouverte était née, en même temps que le « pressure profiling ».

Extrait compte-rendu Bulletin de la Société d'encouragement
Dessin Bulletin de la Société d'encouragement
73. Extrait de la p. 206 et planche 141 de la « Description du filtre-presse ; ou filtre-hydraulique de M. le Comte Réal, par M. Hoyau». Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, vol, 15 (1816).

C’est là la première représentation d’une machine à piston et levier pour l’extraction du café. On peut la considérer comme la cousine éloignée de toutes les machines à levier.

Cette technique d’extraction semble avoir été très utilisée, reprise et améliorée par de nombreux autres inventeurs œuvrant dans le domaine de la pharmacologie, particulièrement en Allemagne. On peut signaler Doeberiner, Geiger, Wurzer, Senguerdsher et Brande entre 1817 et 1827.³¹ C’est cette lignée qui amènera à l’avant-scène Römershausen, dont on a déjà parlé, particulièrement pour l’utilisation de presses à vapeur et à air pour l’extraction du café, mais aussi pour un de ses montages (plutôt anecdotique) comprenant un piston actionné par une crécelle.³³

Voilà pour la préhistoire.

Étrangement cette idée, contrairement aux techniques de percolation développées par Descroizilles et autres, n’a pas été poussée (c’est le cas de le dire) et les brevets similaires sont rares. Ils apparaissent à intervalles de l’ordre de 50 ans, se rapprochant un peu plus chaque fois de la machine espresso à levier sans vraiment l’annoncer.

Ça commence par un petit tir groupé avec deux inventions en 1841 et 1864. Le premier est l’œuvre de William Ward Andrews, qui invente la première cafetière où l’eau chaude est forcée à travers le café à l’aide d’un piston. Du côté de la poignée de la cafetière se trouve un clapet qui permet de verser de l’eau chaude dans le conduit du piston. Celui-ci peut alors être abaissé pour pousser l’eau à travers la mouture, contenue dans un filtre fermé. Une Dubelloy pistonnée, la tête à l’envers. Un principe un peu similaire sera utilisé plus de 100 ans plus tard sur une cafetière OMG, mais de type exprès (la Columbia Crème), capable de produire une mousse abondante, ainsi que sur une La Cimbali (la Cimbalina de 1960), dessinée par les frères Castiglioni.²⁶

Brevet William Ward Andrews 1841
74. Brevet de William Ward Andrews déposé en Angleterre le 21 juillet 1841. [voir l’article de Lucio, apparaît aussi dans le livre de Bramah]

Celui de 1864 est, comme la presse de Réal, un travail d’équipe. Il vient de deux résidents de Cincinnati, dans l’Etat de l’Ohio : William Class et Ernst Rubenow. Le montage est très similaire à la presse de Réal mais utilisait de l’eau chaude. Il comporte un système beaucoup plus proche de la pompe et une arrivée d’eau sur le côté de la colonne du piston (munie d’une valve anti-retour). Le café, le thé ou autre substance est placé entre deux grilles métalliques dans la partie basse et l’extrait coule par le bas de l’appareil, qui peut aussi être utilisé pour filtrer des solutions.

Brevet US41974 Class-Rubenow 1864
75. «Improved apparatus for making extracts», brevet US41974 déposé par William Class et Ernst Rubenow le 22 mars 1864.

Alors que les brevets pour machines à café à percolation, puis les machines à café express pullulent, il ne se passe absolument rien du côté des pistons. Pour ne pas être en reste, on peut citer le brevet de Giovanni Calvino en 1928, qui propose une mini cafetière possédant un piston pour forcer l’eau à travers la mouture, directement au-dessus de la tasse. Un Aéropress bien avant l’heure… mais en métal. Autant dire que les pressions que l’on pouvait atteindre avec un tel dispositif n’étaient pas bien élevées et le café n’avait certainement rien à voir avec un espresso mais il devait tout de même être différent d’un café filtre. Un bel effort.

Brevet US1754146 Calvino 1928
76. «Coffee filter», brevet US1754146A déposé par Giovanni Calvino le 13 septembre 1928.

Plus étrange encore est la machine à levier proposée par Frederick E. Hummel de Chicago, en 1947. C’est le premier exemple de machine à café à levier pour bar, elle est automatique et utilise des « pods ». Pas sûr qu’elle ait vraiment vu le jour mais l’invention est assez originale pour être mentionnée.

Brevet US2529395 Hummel 1947
77. «Coffee maker and dispenser», brevet US2529395 déposé par Frederick Hummel le 19 décembre 1947.

La machine fonctionne comme un poinçon, venant prendre en sandwich des pochettes de café (exactement comme des « pods » présentés figures 4 et 5 du brevet) placées à intervalle régulier sur un ruban. Lorsqu’une pochette de café est coincée en dessous de la colonne par l’abaissement du levier, le piston vient forcer l’eau chaude à travers la mouture et le café coule dans la tasse placée dessous. Lorsque le piston est relevé la valve de sortie d’eau se ferme et la valve d’admission d’eau chaude (dans le milieu du piston) s’ouvre et vient remplir à nouveau la chambre du piston, tout en actionnant le rouleau de pods pour passer au suivant. C’est très ingénieux, ça demande un rouleau spécial pour fonctionner, que seul l’inventeur peut fournir, un concept qui fera la fortune de Nespresso un demi-siècle plus tard mais qui ne semble pas avoir fait grand bruit après-guerre.

Maintenant pour les pistons à vis, ça ne se bouscule pas non plus. Peut-être parce que c’était une technique courante avant même la presse de Réal. Il existe seulement deux inventions quasi-identiques et présentées là aussi à un demi-siècle d’intervalle : celle d’Angelo Bianchi, un Italien de Bologne, en 1869 et celle de Joseph Joachim Gallardo, un Salvadorien de Santa Tecla, en 1923.

Brevet Bianchi 1869 & Gallardo GB227877 1923
78. Planche 73 du Bolletino Industriale del Regno d’Italia de 1869 pour le brevet 239 d’Angelo Bianchi et «A new or improved apparatus for use in making extractions of tea, coffee, cocoa, and like substances», brevet GB227877A déposé par Joseph Joachim Gallardo le 24 juillet 1923.

Deux appareils d’assez grande taille destinés à obtenir des extraits concentrés de café (thé, cacao ou autre) en grande quantité. La différence entre les deux est que le premier fonctionne comme une presse à raisin, avec de l’eau chaude ou froide et le café placé dans un grand filtre cylindrique ouvert, alors que le deuxième est un système fermé et pouvant donc fonctionner aussi à la vapeur, avec une sortie par le dessous du cylindre.

Le seul autre inventeur à avoir utilisé une vis dans un système d’extraction (mais que n’a-t-il pas inventé?) est Pier Teresio Arduino. En 1913 (voir épisode 12), il avait en effet déposé un brevet pour un groupe avec une petite presse à vis. Celle-ci servait seulement à «épuiser» le marc de café en fin d’extraction et non à forcer l’eau à travers la mouture.

Voilà, s’il avait fallu retracer l’histoire des leviers avant d’en arriver à l’espresso, cela n’aurait pas pris 25 épisodes… mais à peine un seul. D’un côté des centaines de cafetières utilisant la percolation, la recirculation, la pression de vapeur, la pression hydrostatique, le vide, la pompe à air et j’en passe. Des cafetières de toutes tailles et de toutes formes. De l’autre quelques rares exemples de machines à café utilisant la force mécanique, et encore… la plupart destinées à préparer des extraits. Il faut y voir deux lignes totalement disjointes, qui mettent un peu plus en relief la grandeur de l’invention qui va suivre : ce point de jonction qui va totalement révolutionner le monde du café et permettre aux italiens de régner en maîtres sur le marché.

Macchina per imbottigliare 1921
79. « Macchina per imbottigliare», brevet pour dessin et modèle 3205 de Benedetto et Giuseppe Milani & Francesco Pallavicini, Turin, 27/09/1921.²¹
Machines à embouteiller début XXe
80. Modèles de machines à embouteiller du début XXe.

Les bars se sont beaucoup développés au début du XXe siècle avec l’arrivé des boissons gazeuses, eau de seltz et liqueurs.³⁴ On retrouve à travers l’évolution des machines à café plusieurs inventeurs qui travaillaient dans des bars ou étaient eux-mêmes liquoristes (Moriondo, Bezzerra, Vázquez del Saz, Arduino). Ils inventaient en étant confrontés aux problèmes posés par leur milieu de travail, souvent avec des solutions issues de leur environnement. Avec le recul, on peut se demander pourquoi personne n’a pensé plus tôt à utiliser un levier pour extraire efficacement le café alors que le principe du levier était couramment utilisé pour l’embouteillage… avec divers mécanismes que l’on retrouve encore aujourd’hui sur des machines à levier.

C’est dire à quel point les esprits étaient imprégnés, à part quelques précurseurs, par la seule force de la chaleur et de l’eau pour l’obtention du café. Cela demande souvent un changement complet de perspective pour arriver à de grandes inventions et c’est incontestablement le cas de ce qui va suivre.

À suivre…

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_________________________________

³⁰ Appareil nommé filtre hydraulique. Dictionnaire de Chimie Charles-Louis Cadet de Gassicourt, Tome 3 p. 94, 1803.
³¹ «Theoretische und praktische Untersuchungen über das Perkolationsverfahren nebst einem Ueberblick über dessen Entwicklung», Kurt Feinstein, Buchdruckerei zur Alten Universität, Zürich, 1936.
³² Surnommé le policier de Napoléon, son éditeur le dit aussi chimiste et mécanicien. Il semble qu’il avait en France une entreprise de distillation de liqueurs, activité qui l’a certainement mené à l’invention du filtre-presse. Lorsqu’il part en exil aux États-Unis (après le retour de Louis XVIII en juillet 1815), il s’établit à Cape Vincent dans l’état de New-York où il semble qu’il ait eu une fabrique de purification d’huiles de poisson, mettant de nouveau en pratique son filtre-presse. Il mène dans sa résidence surnommée «cup-and-saucer» des expériences avec son ami Claude-Charles Pichon avec qui il déposera un brevet pour une machine à vapeur en 1827, juste après son retour à Paris. Il y meurt en 1834. [American Journal of Pharmacy, Volume 105, p. 294. Philadelphia College of Pharmacy and Science, 1933]
Pour l’anecdote, sa fille Eulalie Françoise Réal-Lacoué épousera en 1836 Léonor Fresnel, le frère d’Augustin Fresnel, fondateur de l’optique moderne et père spirituel de Jean-Baptiste François Soleil (dont nous avons parlé dans l’épisode 4).
³³ Les travaux de Römershausen ont donné de nombreux appareils d’extraction pouvant être considérées comme précurseurs de la machine expresso  (voir l’épisode 3). Bramah (p.88-89) avance que Römershausen avait, comme Réal, conçu une machine pour pousser l’eau à travers la mouture à l’aide d’un piston mais c’est certainement là une mauvaise compréhension de sa part du système à succion (si on en croit les schémas disponibles et les explications apparaissant dans la thèse de Kurt Feinstein).
³⁴ Le bouchon à capsule venait d’être inventé par William Painter en 1891 (brevets US468226, US468258 et US468259) après un déchaînement d’inventions sur différentes façon de boucher les bouteilles. Voir l’histoire sur The Virtual Corkscrew Museum et HutchBook.com.
 
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Publié par le 7 janvier 2017 dans Histoires et Histoire

 

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Ascenseur pour l’expresso (Episode 5)

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De [a-] à [-zel], troisième partie (1844-1855):
Le café «en grand»

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Au XIXe le café s’est popularisé de façon considérable en France et les établissements le servant se sont multipliés, inquiétant même le pouvoir qui devait secrètement espérer que tout ce bas monde prenne sa tasse de café à la maison plutôt qu’en parlant politique au café du coin. Mais ce sont plutôt les lois de la nature qui allaient contre la production d’excellent café «en grand». La nécessité de « faire le meilleur, le plus vite possible et de la façon la plus économique » est une équation difficile à résoudre, quel que soit le produit auquel il se rapporte. C’est pourtant la solution à ce problème qui est au cœur des paramètres qui ont participé à la naissance de l’expresso.

Les technologies proposées alors ont bien répondu tant bien que mal au «faire le meilleur de façon économique» mais celles-ci n’étaient jamais rapides… et demandaient aux limonadiers de préparer la boisson à l’avance en la gardant au chaud, ce qui en dégrade les qualités.
– Dans le cas de l’infusion à la Dubelloy, il est possible d’avoir en attente de grandes quantités d’eau chaude mais l’infusion est lente.
– Dans le cas des cafetières à vapeur sur le principe des « cafetières italiennes », l’extraction est rapide mais attendre que l’eau arrive à ébullition est tout aussi long. Vu la qualité des métaux et des soudures à cette époque, laisser l’ébullition en attente de l’extraction dans une chaudière fermée, exposait à des risques d’explosion non négligeables.

Pour la troisième méthode d’extraction (les cafetières à siphon), le café était bien préparé (soit-disant) « à la minute » mais seulement « sur table », pour quelques tasses. Attendre l’ébullition était peut-être plus distrayant mais tout de même assez long (voir la caricature plus bas). De toute façon, il était impossible pour les cafés d’utiliser autant de cafetières que de clients…

Le Tintamare 1 Le Tintamare 2
Dessin de Gustave Doré dans Le Journal pour Rire, 5 mars 1852 (source: « Gallica »)

Dans les faits, le développement des petites cafetières domestiques a certainement accéléré l’évolution de la préparation du café en grand, amenant au sein de la population une référence du bon café et rendant les clients plus exigeants. Finit le temps où on pouvait servir (littéralement) n’importe quel jus de chaussette ou faire passer de la chicorée pour du café… en tout cas auprès de certains, la boisson nationale était quand même toujours le café au lait, et le café frelaté étant assez répandu.

L'Eclipse
L’Eclipse, 1877 (source: « Gallica »)

Les cafetières de Romershausen et de Rabaut pouvait produire du café en grand, mais il n’est pas sûr que ces appareils aient été employés dans des établissements servant du café, leur configuration semblait plutôt faite pour un usage extérieur.

>1832<

Le premier à se préoccuper spécifiquement du café en grand dans les brevets français est Joseph-Patrice DU BOURG (résidant à Paris au 5, avenue des Champs-Élysées). «Jusqu’à ce jour, dans aucun pays, le caffé (sic) n’a été confectionné en grand et partout, dans les confections en petit, on a suivi des principes routiniers». Ainsi débute son brevet de 1832 (octroyé pour dix ans, ce qui est rare à l’époque) intitulé « méthode de préparation en grand du café à la vapeur ». Son brevet ne comporte pas de dessin mais juste une description. L’installation utilise, « dans un laboratoire », un générateur de vapeur, qui pousse de l’eau à travers un appareil contenant le café avec des grilles des deux côtés et une tuile métallique pour retenir la poudre de café. Le café est récupéré dans une chaudière doublée de porcelaine ou de faïence en son intérieur (pour ne pas altérer le goût du café et le tenir au chaud sans qu’il atteigne l’ébullition) et est servi par un robinet. Il est annoncé qu’il est possible de produire une quantité énorme de café en peu de temps : 18 à 20,000 tasses en 15 à 21 min avec 150 kilos de café ou 150,000 tasses en moins de 9h ! Le but affiché est la distribution de café dans tous les quartiers d’une ville, ce qui se faisait encore au début du XXe par des marchands ambulants.

Vendeuse de café 1Vendeuse de café à Paris en 1810

Vendeuse de café 2Vendeuse de café à Paris vers 1900

Le soucis est un soucis d’économie : « Au moyen de cette invention la tasse de café au lait sucré, première qualité, qui se vend 60 centimes sera livrée au public à 15 centimes. La double tasse caffé Moka (1/4 de litre) sans lait, y compris le sucre rafiné à 13 cent. ½ »
Il en profite pour se plaindre au passage des « gros droits de douane sur les sucres et les caffés », mais conscient que cela pourrait jouer contre lui, il précise dans une note, qu’en considérant les droits perçus, «cette invention et sa propagation augmentera de plusieurs millions les revenus annuels de l’Etat».

Du Bourg ¹

>1838<

Pierre-Médard GAUDICHON, dans son brevet de 1838 intitulé « moyen propre à faire du café, sans ébullition ni évaporation, et pour obtenir de cette fève tout l’arôme qu’elle contient » présente la toute première machine à «capsule» (c’est le terme employé dans le brevet). Des capsules pour du café en grand ? Enfin, pas n’importe quelle capsule, elle est rechargeable et a une taille imposante. C’est en fait une cafetière Morize (sur le principe de la cafetière dite «napolitaine»), qui se retourne sur un grand vase en porcelaine muni d’un robinet. Dans son «observation essentielle », à la fin du brevet, il précise que « l’appareil pour M. M. les limonadiers est le même sur une plus grande échelle». Il y ajoute aussi un système pour que l’eau repasse sur le marc afin de préparer plus de café (beurk). Je me demande comment ils faisaient pour ne pas s’ébouillanter dans la manœuvre de retournement…

Cafetière Gaudichon
Cafetière de Gaudichon, 1838 (source: « Archives INPI »)

Gaudichon ¹

>1847<

L’appareil proposé par André GIRAUD (distillateur liquoriste à Paris, 43, rue du Faubourg-Poissonnière) en 1847, commence à ressembler franchement aux premières machines à café «Express». Son système dit «condensateur, appareil chimique, pour la préparation du café et du thé», se compose d’une cuve en cuivre de 8 à 9 litres de capacité (pour la «Demie grandeur»), chauffée au bois, qui envoie de l’eau dans deux «porte filtres cylindriques de la profondeur de 15cm et 11 de diamètre à double compartiment armé de trois filtres métalliques» situés de chaque côtés de la chaudière. L’eau poussée à travers ces filtres contenant la poudre de café (ou du thé) passe ensuite par un serpentin pour condenser les vapeurs aromatiques et est récupéré dans deux récipients de cristal gradués, munis de robinets. Ces récipient sont placés dans un vase à bain marie avant le service. Il est spécifié que l’appareil peut produire 50 tasses (d’un côté le thé et de l’autre le café) en 45 à 50 minutes et ne consomme que 4 à 5 centimes de chauffage.

Cafetière Giraud
Cafetière de Giraud, 1847 (source: « Archives INPI »)

Giraud ¹

>1855<

L’Exposition Universelle

Expo 1855 ²
Bâtiment principal de l’Exposition Universelle de Paris, 1855

1855 est l’année de la première exposition universelle française, à Paris. Un imposant bâtiment a été construit près des Champs-Élysées pour l’occasion, qui comprenait une très longue annexe (une verrière de 1.2km le long et 17m de hauteur le long de la Seine) accueillant la Galerie des machines.³

Plan Expo 1855
Plan du site de l’Exposition Universelle de Paris, 1855

C’est dans cette annexe que se trouvait le tout nouvel appareil de Loysel, appelé «percolateur hydrostatique».

Percolateur Loysel ²
Percolateur hydrostatique de Loysel dans sa version petit format, 1855

Loysel, de son nom complet Édouard LOYSEL DE LA LANTAIS, né en 1816 à Vannes, était fils et petit-fils d’ingénieur. Lui-même ingénieur, professeur de sciences naturelles et de mécanique il a à son actif de nombreuses publications et plusieurs brevets. Avec son sens développé des affaires, il a commencé par breveter l’un des tout premiers panneaux publicitaire (1839 et 1842 :«mode de publicité dit annonciateur universel»), puis une modification au jeu d’échec (1841 et 1843), sur les traces de son père qui avait inventé un jeu de société. Des produits pour toucher le grand public… tout comme ses nombreux brevets de cafetières.

Le concept de sa première cafetière est développé dans différents brevets. Le premier, de 1843, la décrit comme un «genre de cafetière». Il s’agit d’une cafetière basée sur le principe de la cafetière à siphon mais qui chauffe le lait au bain-marie en même temps que l’eau. Le robinet de sortie est à double conduit, de sorte que le lait et le café sont mélangés pour produire la boisson préférée des français (ou des anglais si le café est remplacé par du thé) directement dans la tasse. Elle apparaît dans des publicités de journaux sous le nom de «cafetière Parisienne».

Cafetière Lousel 1843  Loysel 1
Première cafetière de Loysel, 1843 (source: « Archives INPI »)

Cafetière Parisienne 1

Cafetière Parisienne 2
La Presse, 30 décembre 1843-12 janvier 1844 (source: « Gallica »)

Chose certaine, Loysel avait la bougeotte : il n’a jamais deux fois la même adresse sur les brevets, sûrement à la recherche de la meilleure occasion d’affaire ou du meilleur coup de publicité. Parti vivre en Angleterre en 1844, il y est naturalisé en 1849 et continue sur sa lancée. Il revient d’abord en 1853 avec une «cafetière Dubelloy perfectionnée» puis… la fameuse idée pour résoudre la quadrature du cercle : utiliser une nouvelle force pour l’extraction du café. Non pas encore une force mécanique mais la gravité ! L’eau amenée en hauteur pas la force de la pression de la vapeur est soumise alors à loi de Pascal: elle peut y rester chaude, en attente de l’extraction, qui se fera à force égale à celle de la vapeur qui l’a amené là-haut. Il suffisait d’y penser…

Le résultat donnait des cafetières aux proportions gigantesques qui n’étaient pas à la portée d’un petit ferblantier, mais typiques de l’aire industrielle naissante.

Percolateur Loysel 1 Percolateur Loysel 2

Percolateur Loysel 3 Loysel 2
Percolateur Hydrostatique de Loysel, 1853 (source: « Archives INPI »)

À cette idée lumineuse, Loysel ajoute un coup de marketing grandiose: son «percolateur hydrostatique» est présenté à l’exposition universelle de Paris… exposée et servant des cafés à 5 millions de visiteurs éblouis par l’invention. Dans la revue Cosmos (Tome 7, p.127-135, 1855), il est dit que l’appareil contient 2000 tasses et coûte 6000 francs, une petite fortune pour l’époque. Le café, lui, était servit 20 centimes la tasse.
Fort de son succès, ce percolateur est déplacé dès la fin de l’Exposition Universelle au café Frascati, rue Montmartre où il rencontre aussi un franc succès. Son succès continue ensuite au palais des omnibus, sur la place du Palais Royal (où le percolateur restera jusqu’en 1860). Après avoir fondé « la compagnie générale des Percolateurs de la Seine», il en fera construire d’autres exemplaires dont des plus petits formats et en vendra à travers toute la France.

Percolateur Loysel Palais Royal
Établissement du Percolateur, Place du Palais-Royal, 1855

Article Percolateur 1 Pub Percolateur 1
La Presse, 8 et 21 février 1856 (source: « Gallica »)

Article Percolateur 2 Pub Percolateur 2
La Presse, 14 juillet 1856 – Le Figaro, 28 mai 1859 (source: « Gallica »)

À côté de ça…

La routine continue. L’année de l’exposition universelle, Jean Baptiste Antoine COUTANT, négociant à Paris (au 274, rue Saint-Honoré) présente un système de cafetière dite «Cafetière simplifiée» qui n’est autre qu’une Dubelloy avec de l’eau bouillante à disposition en tout temps dans la partie supérieure, prête à passer par l’ouverture d’un robinet. Le café passé se retrouve dans un autre compartiment de la partie inférieure et y est conservé au chaud par l’eau bouillante. Petit ajout ingénieux et simple à la toute première cafetière qui avait encore de beaux jours devant elle, y comprit dans les cafés.

Cafetière Coutant Coutant
Cafetière de Coutant, 1855 (source: « Archives INPI »)

De même, Jean-Baptiste DAGAND (demeurant au 388 rue Saint Denis à Paris) et son «système d’appareils-cafetières propres à l’infusion du café par aspersion et retour d’eau», n’invente pas l’eau chaude. Même s’il prétend que ses « appareils-cafetières évitent tous les inconvénients des anciennes cafetières du commerce toutes basées du reste sur d’autres principes que les miens. Ces inconvénients sont principalement : un remontage difficile à chaque fois que l’on veut s’en servir, des dangers d’éclats pour les appareils en verre lesquels cassent si souvent, lenteur des opérations». Il ne propose rien d’autre qu’une cafetière de Laurens modernisée (avec indicateurs de niveau, s’il vous plaît). Sa cible sont les siphons, dont l’effet de mode était passé et qui commençaient à avoir mauvaise presse. La publicité, faisant du neuf avec du vieux était en marche… et ça non plus ça n’était pas près de changer.

Cafetière Dagand Dagand
Cafetière de Dagand, 1855 (source: « Archives INPI »)

L’après Loysel

Article Percolateur 3
La Presse, 18 mars 1860 (source: « Gallica »)

Loysel meurt en 1865 et la mauvaise publicité, pour lui aussi, va arriver plus tard. On en retrouve des fragments dans la presse qui rapporte plusieurs accidents et explosions de percolateurs, causées certainement par le vieillissement des appareils.

Accident Percolateur 1La Presse, 4 juin 1895 (source: « Gallica »)

Accident Percolateur 2

Accident Percolateur 3

Accident Percolateur 4

Le Figaro, 10 janvier 1901-1e septembre 1910-24 décembre 1913 (source: « Gallica »)

Mais les jalons de l’expresso étaient posés et Loysel a laissé son nom dans l’histoire comme en étant le précurseur. Il est aussi et surtout celui qui a apposé le nom de «percolateur» à ces étranges machines, faisant à la demande du café en grande quantité.

À suivre…

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¹ Source: « Archives INPI », avec leur aimable autorisation.

² Source: site Hector Berlioz.

³ Traité de « bœuf foulant un parterre de roses » par Mirabeau, l’édifice a été détruit en 1899 pour accueillir le petit et le grand palais de l’Exposition Universelle de 1900.

 
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Publié par le 2 décembre 2013 dans Histoires et Histoire

 

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