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Ascenseur pour l’expresso (Episode 30)

Le talent d’Achille (4/5)

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«Le talent est la faculté de concentrer son attention sur tel ou tel objet et d’y voir quelque chose de nouveau, quelque chose que les autres ne voient pas».¹⁷

Rita Hayworth - Gilda
86. Rita Hayworth dans la scène mythique de Gilda (film de 1946) et le levier éponyme lancé par Gaggia en 1952.

Le modèle Pandora n’a peut-être pas eu le succès qu’il méritait car la Foire de Milan de 1952 présentait aussi une véritable star, la Gilda, première machine à levier domestique de Gaggia. C’est la machine qui fait entrer l’espresso dans les foyers, et un nouveau coup de génie d’Achille.

Le modèle est nommé non pas en référence au prénom de sa femme (qui s’appelait Luigia) mais au personnage incarné par Rita Hayworth dans un film de 1946, figure emblématique de la pin-up. Le film «Gilda» sort en Italie autour du mois d’avril 1947, soit très peu de temps avant la date du dépôt par Achille Gaggia de son brevet pour levier à ressort, le 8 août 1947. Gaggia a certainement vu le film vers cette date, peut-être même après l’avoir déposé au bureau du Ministère de l’Industrie et du Commerce. J’ai comme l’impression qu’en choisissant le nom «Gilda», il a voulu associer la figure de cette icône glamour qui a marqué les esprits d’après-guerre à l’exaltation de son brevet et aux possibilités qui s’offraient alors à lui. Il accordait une grande importance, et avec raison, à ce brevet au cœur de sa réussite, faisant apparaître l’année de son obtention et de fondation de sa compagnie «Brevetti Gaggia» sur son logo (à travers l’inscription 1848-1948). Le message caché est peut être aussi lié à l’histoire qui sous-tends l’intrigue du film : un brevet racheté pour trois fois rien avant-guerre et qui fait la fortune des personnages principaux, placés en position de monopole. L’histoire d’Achille est de celles qui semblent chuchoter qu’il faut suivre son instinct en laissant des traces derrière soi… je me plais à penser que c’est déjà l’attrait des salles obscures qui l’avait mené, au milieu des années 30, en plein cœur du quartier des cinémas de Milan, au café «Moka Sanani», croiser le chemin d’Antonio Cremonese, l’homme qui changea son destin.

Gilda XXXe Fiera milano 1952
87. Annonce de la présentation du modèle Gilda de Gaggia à XXXe Foire de Milan. Gazzetta del Mezigiorno – Cremona, 25 avril 1952.
Brevet Gilda ES204209 - 1952
88. Brevet de la Gilda, «Aparato para la preparacion del café exprés», déposé en Espagne le 20 juin 1952 (numéro ES204209).
Publicité Gilda Natale 1952
89. Un des premiers modèles produit et publicité pour la Gilda pour le Noël 1952 (Gazzetta del Mezzogiorno – Cremona, 6 décembre 1952).
Motifs Gilda 1952
90. Dessin de la Gilda levier levé, détail de la décoration sur la cuve et vue plongeante où on peut apercevoir le thermomètre et le « G » de la grille.

Le brevet de la Gilda, «Appareil domestique ou analogue pour la préparation de café express», est déposé en Italie le 26 avril 1952, tout juste synchronisé avec la XXXe foire de Milan où la machine est présentée pour la première fois. Elle est de petite taille, avec une cuve fermée et un chauffage électrique contrôlé par un interrupteur, une valve de surpression et un thermomètre incorporé au bouchon de la chaudière. Elle est en aluminium avec des lignes très simples, une cuve décorée de deux bandes entrelacées portant les mots «Gaggia – Gilda – Milano» et la grille de la bassinelle percée de trous qui découpent la lettre G de Gaggia.

Publicité Gaggia Esportazione - Gilda
91. Publicité d’un point de vente de Gaggia à Milan.
Publicité Gaggia Esportazione - Gilda (Torino)
92. Publicité d’un point de vente de Gaggia à Turin (Gazzetta del Mezzogiorno, 3 mars 1953).
Catalogo Caudano 1953
93. Page du catalogue de vente « Caudano – Articoli Casalinghi » de 1953 où apparaît le Gilda. [Source:Francesco Ceccarelli]

La publicité pour la Gilda mets l’accent sur la possibilité d’obtenir chez soi de la «crème de café naturelle» (l’espresso), comme au bar, mettant en parallèle la machine professionnelle de Gaggia et la petite Gilda. Elle était vendue à l’époque 35,000 Lires (soit l’équivalent de ~450€ actuels),¹⁸ ce qui n’était pas à la portée de toutes les bourses mais relativement bon marché pour la qualité de fabrication, la nouveauté qu’elle représentait et le café qu’elle pouvait produire. Dès 1953, elle est vendue en Espagne par Gaggia Española, qui la présente à la foire internationale de Barcelone où l’on retrouve le camion Gaggia Esportazione.

Camillo Gaggia Premières Gilda
94. L’équipe de Gaggia inspectant les premières Gilda produites (à gauche, Camillo Gaggia, au centre des trois autres, certainement le même personnage que celui apparaissant sur la photo 19).
XXIe Feria Barcelona 1953
95. Pleine page de Gaggia Española dans le journal ABC du 13 juin 1953, annonçant la Gilda à l’occasion de XXIe foire internationale de Barcelone (on remarquera à droite du pavillon, la présence du camion Gaggia Esportazione).
Publicité Gaggia Gilda Couleur
96. Pleine page de Gaggia annonçant la Gilda en 1952.

Fait assez étrange, le piston de la Gilda, contrairement à l’invention originale de Gaggia, ne comporte pas de ressort. Cela en fait une machine très proche dans son principe de l’Europiccola, qui ne verra le jour que 7 ans plus tard (brevet pour modèle de Piero Diamanti, numéro 77505, déposé le 20 avril 1959). Pourquoi ce choix ? Pour des raisons de sécurité ? D’esthétique ? De disponibilité ou de corrosion des ressorts ? Difficile de le savoir.
On dit souvent que la Gilda est la première machine à levier domestique. En fait, elle est certainement la première machine commercialisée mais ça n’est pas précisément le premier brevet du genre. Il existe un autre brevet qui le précède de seulement quelques jours, déposé par Renato Roverselli de Brescia (à proximité de Milan) le 19 avril 1952. La machine Roverselli possède une cuve ouverte, un chauffage électrique et un piston à ressort actionné par un levier. Les poignées du levier et du porte-filtre ressemblent étrangement à celles des Gaggia. On remarque sur le brevet qu’un système de fixation par serre-joint était prévu pour stabiliser la machine. Autre fait assez particulier, il n’y a pas de joints sur le piston. Il est dit dans la description que l’étanchéité et la température d’opération idéale sont assurées par la différence de dilation entre le disque situé en bas du piston (élément 20) et la chemise. Le choix des matériaux était censé bloquer le piston en-dessous de la bonne température et être étanche lorsque la température lui permettait de monter et descendre. Pas sûr que le système était tout à fait fiable.

Brevet Roverselli FR1075920 - 1953
97. «Machine pour la préparation du café en boisson», brevet de Renato Roverselli déposé en France le 17 avril 1953 (numéro FR1075920).

Est-ce pour cela que la Gilda n’avait pas de ressort ? La Roverselli relevait plutôt du prototype alors que la machine de Gaggia était déjà à l’état de commercialisation au moment du dépôt du brevet. Il n’est pas possible qu’il ait changé ses plans à la dernière minute, d’autant qu’il était à l’origine de l’idée du ressort. C’était donc dès le début que sa machine domestique n’en possédait pas.

Roverselli commercialisera éventuellement sa machine, ou reprendra du moins ses grands principes dans un modèle peu connu mais qui a bel et bien existé, la Petronilla Piccolobar (marques détenues et distribuées par la firme Alfonso Bruni de Milan). Il n’existe pas de lien évident entre Roverselli et Bruni, mais Roverselli a déposé en 1953 un brevet avec l’ingénieur Max Lange d’Innsbruck, qui est clairement une modification du premier brevet, avec la même numérotation étendue, cuve fermée et remplissage par une arrivée d’eau.

Brevet Roverselli & Lange AT195841 - 1953
98. «Espressomaschine», brevet de Renato Roverselli et Max Lange déposé en Autriche le 18 novembre 1953 (numéro AT195841).
Publicité Piccolobar Petronilla (Alfonso Bruni) 1953
99. Publicité de 1953 pour la Piccolobar Petronilla, distribuée par Alfonso Bruni.
Modèles ELWE Piccolobar
100. Différents modèles Piccolobar distribués par Elwe et Bruni.

Or, il se trouve que Max Lange était le propriétaire de ELWE-Elektro-Technishe Erzeugnisse Lange & Co. (19, Defreggerstrasse, Innsbruck, Austria). Elwe, la compagnie qui commercialisait les Piccolobar en Autriche et en Allemagne, y compris un modèle plus évolué avec cuve fermée et arrivée d’eau. Si ces preuves ne suffisent pas, une publicité d’époque pour la Piccolobar annonce «un piston sans joint fonctionnant sur le principe de la dilatation des métaux». On relèvera aussi que les «Brunella», modèles distribués plus tard par Buni, utilisent exactement le même principe de levier avec cuve ouverte (mais avec des joints sur le piston, comme la plupart des Piccolobar d’ailleurs).

Dans les mêmes années, un autre inventeur autrichien desservira les pays germaniques, et même jusqu’à l’Espagne, avec une machine domestique à ressort. Elle comporte même plusieurs ressorts et une conception assez complexe. Franz Hochmayr (Ramperstorffergasse 66, Vienna, Austria) est le concepteur de l’étrange modèle appelé «Nockit» dont le brevet est déposé en Autriche le 22 février 1952, ce qui en fait peut-être bien la toute première machine à ressort domestique commerciale, mais qui ne produisait pas à proprement parler de l’espresso. Son principe repose plutôt sur le contrôle précis de la poussée de l’eau, due à la pression de vapeur, et une sorte de filtre pressurisé avant l’heure.

Brevet Hockmayr US2688911 - 1953
101. «Electrically heated expresso machine for the preparation of coffee, tea, or the like», brevet de Franz Hochmayr déposé aux États-Unis le 4 février 1953 (numéro US2688911).
Nockit modèle et publicité Hockmayr
102. Machine Nockit et publicité de la Metallwarenfabrik Ing. Franz Hochmayr.

Parmi les avant-gardistes, on peut signaler qu’en 1953, deux autres compagnies ont conçu des machines espresso domestiques directement inspirées de la Gilda : il s’agit de Juvara et Radaelli.

Les Établissements Juvara, compagnie parisienne, s’associe de nouveau avec Cesare Bialetti (avec lequel ils avaient commercialisé la Vesuviana)¹⁹ mais cette fois-ci pour déposer avec lui un brevet, le 9 juillet 1953, appelé «Appareil pour la préparation du café». Derrière ce titre particulièrement vague se cache une machine tout à fait originale. Il s’agit d’une machine espresso avec cuve ouverte dont l’axe du piston (sans ressort) reprend le principe de la crémaillère de Gaggia mais entrainée par un volant, à la manière des perceuses à colonne. Elle n’a pas dû être fabriquée en grand nombre car il existe bien des photos de cette machine (déposées à l’INPI comme justificatif d’un brevet pour dessin et modèle), mais aucun exemplaire connu de nos jours. Pas de trace non plus du modèle à deux groupe qui apparaît dans le brevet.

Brevet Juvara & Bialetti FR1085498 et dépôt INPI - 1953
Brevet Juvara & Bialetti FR1085498 - 1953
103. «Appareil pour la préparation de café», brevet de Juvara et César Bialetti déposé en France le 9 juillet 1953 (numéro FR1085498) et photos du brevet pour dessin et modèle déposé à l’INPI le 30 juillet 1953.

L’autre modèle dérivé de la Gilda venait de R. Radaelli (pour Riccardo Radaelli) S.p.A., une compagnie établie à Milan depuis les années 20, spécialisée dans les chauffe-eau, au gaz ou électriques. Profitant certainement d’une expertise en fabrication de résistance immergées (à l’instar de Piero Diamanti et son entreprise D.P. quelques années plus tard), elle conçoit une petite machine espresso appelée «Caffomatic» que l’architecte Paolo Buffa aurait dessinée. Le brevet pour modèle est déposé en Italie, au nom de l’entreprise, le 21 avril 1953, sous le titre «Macchina portatile per la preparazione estemporanea di infusi come caffé camomilla e simili bevande a foggia sostanzialmente cilindrica con piattaforma di sostegno». Un autre brevet pour modèle est déposé le 3 juin 1953 aux États-Unis par Enrico Radaelli (certainement un des fils). Machine élégante avec une cuve ouverte et un levier ayant la particularité d’être courbé, cuve chromée et peinture à l’aspect martelé, le mécanisme du piston est exactement le même que celui de la Gilda. C’est la seule machine qu’ils produiront mais c’est un coup de maître car de nombreux modèles postérieurs s’inspireront de ce design si particulier pour l’époque.

Radaelli modèle et photo brevet
104. Machine Caffomatic de R. Radaelli.
Radaelli brevet USD174468 - 1953
105. Brevet pour modèle d’Enrico Radaelli déposé aux États-Unis le 3 juin 1953 (numéro USD174468).

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Logo FAEMA 1954
106. Dépôt de marque en Italie du logo FAEMA (numéro 118161 du 18 février 1954).
FAEMA Venere 1952
107. Modèle «Venere» de FAEMA, produit vers 1952.
Publicité FAEMA via Ventura 1954
108. Affiche de la compagnie FAEMA ventant la cadence de production de leur nouvelle usine (on y voit tous les premiers modèles : Nettuno, Marte, Mercurio et Venere).

La deuxième raison pour laquelle la «Pandora» ne s’est pas vendue est peut-être aussi à chercher du côté de FAEMA. La compagnie possédait en effet un modèle assez similaire sorti en 52, une machine à un groupe assez compacte de la série «système solaire», appelée «Venere» (Vénus).²⁰ Trop grosse pour la maison, trop petite pour un bar, c’est une machine qui n’a pas dû être produite en grand nombre car elle est relativement rare aujourd’hui. Beaucoup plus difficile à trouver, c’est certain, que la réponse de Valente à la Gilda : la «Faemina». Son nom même, qui signifie «femelle» en latin, semble être un pied-de-nez à la Vénus glamour de Gaggia. Elle est couverte par deux brevets déposés en Italie les 28 mai 1952 et 14 avril 1953.

Brevet Faemina FR1080145 - 1953
109. «Machine à faire les infusions de café avec piston soulevable à la main utilisable notamment dans l’économie domestique», brevet de Felice Arosio et Ernesto Valente déposé en France le 27 mai 1953 (numéro FR1080145).
Publicité Faemina - 1953
110. Publicité de FAEMA pour le nouveau modèle Faemina, vendu 43,000 lires en 1953.
Logo Faemina - 1954
111. Dépôt de marque de FAEMA pour la Faemina (numéro 118974 du 9 juin 1954).
Publicité Faemina couleur 1954
112. Publicité en couleur pour la Faemina, reprenant le logo nouvellement déposé (1954).

Elle est peut-être là l’explication de l’absence de ressort sur la Gilda. Valente et Gaggia se sont possiblement entendus sur le type de machine qu’ils allaient chacun mettre de l’avant. Produite à partir de 1953, cette petite dernière de la famille FAEMA rencontrera un succès considérable, malgré son prix sensiblement plus élevé que la Gilda (43,000 lires en 1954). Il faut dire qu’elle avait tout pour plaire : un ressort, une cuve fermée avec lance vapeur pour les cappuccini, et une esthétique qui fait encore rêver. Une cuve suspendue sur un pied et un hublot pour voir l’action du piston poussé par le ressort, concept qui sera maintes fois copié par la concurrence.

On peut citer en particulier la Microcimbali, produite à partir de 1954, vendue entre 38 et 40,000 Lires. La San Marco «Tipo Famiglia» et «Tipo Junior». La «Chicobar», machine très rare de la famille «Bruni», certainement aussi produite en 1954 (date du dépôt de la marque par Bruni), dont il existe un très beau spécimen sur Home-Barista. Et la «SantCarlo», découverte très récente de Francesco Ceccarelli.²¹

Microcimbali 1954
113. Publicité pour la Microcimbali dans la Stampa Sera du 4 décembre 1954.
Microcimbali XXXIIe foire de Milan 1954
114. Publicité pour la Microcimbali montrant sa présentation lors de la XXXIIe foire de Milan de 1954, ainsi que son prix de vente (38,000 lires).
Publicité couleur Microcimbali
115. Publicité en couleur pour la Microcimbali.
Modèle Chicobar (Alfonso Bruni) 1954
116. Modèle «Chicobar» distribué par Alfonso Bruni.

Gaggia ne se laisse pas déconcentrer et poursuit la production de la Gilda, en constituant une nouvelle compagnie (la VE.MA.CC.) dont l’adresse correspond à celle des bureaux de Gaggia (8, via Angelo Maj). La société annonce utiliser les ateliers Gaggia et offre, à partir de 1953, un modèle appelé «Iris», très similaire à la Gilda mais avec une cuve ouverte. Il est possible que Gaggia ait cédé ses anciens locaux (3 via Carabelli) à la VE.MA.CC., car en 1953 la production de Gaggia est déplacée à une nouvelle adresse, via Cadolini. Début 1953, Brevetti Gaggia est enregistrée au 24 de cette rue (d’après un brevet britannique) et l’on retrouve alors cette adresse sur les badges de la Gilda. Gaggia est plus tard enregistrée au 9, via Cadolini (vers 1955) où se trouve une toute nouvelle usine. Dans cette période une nouvelle fabrique située à Monaco, Plage de Fontvieille, est aussi inaugurée.

Modèles Gilda (via Carabelli 3) et IRIS (Via Angelo Maj 18)
117. Modèle Gilda (à gauche) et modèle Iris (à droite) produits respectivement par Gaggia et la VE.MA.CC.
Publicité Gilda (Gaggia) et IRIS (VE.MA.CC.)
118. Publicités pour la Gilda et l’Iris (Gazzetta del Sud, 7 décembre 1952 et 28 mai 1953).
Personnage mystère - Gilda 54
119. Personnage mystère manipulant le nouveau modèle Gilda de 1954 (il s’agit certainement du même personnage que sur la photo 38).

En 1954, Gaggia sort une nouvelle version de la Gilda, complètement revisitée. Il est d’ailleurs surprenant qu’il ait gardé le même nom tant la machine est différente dans son esthétique et dans son fonctionnement. C’est une cuve ouverte avec un ressort pour le piston, actionné à l’aide de deux bras de levier. Les formes sont très arrondies, le corps est en métal poli et les poignées sont lisses, de couleurs noires, marrons ou blanches. En position de repos, les bras sont relevés, donnant à la machine un air de robot triomphant. Mais, pour la ranger, ils peuvent aussi être repliés en dévissant un cran d’arrêt, ce qui change l’attitude du robot en boxeur campé fermement sur ses jambes, prêt à en découdre. Je ne vous dirai pas à quoi me fait penser le porte-filtre, souvent en place sur les photos… mais disons que le tout a un air assez viril. La machine a beau être présentée par une miss, on est loin de la féminité de la première Gilda et de la pin-up qui lui avait inspiré son nom.

Gilda 54 et affiche film 1946
120. La Gilda’54 à côté de l’affiche du film Gilda de 1946.
Miss présentant la Gilda 54
121. Présentation de la nouvelle Gilda par Mariella Ferro, Miss Lombardia 1955.
Publicité Gilda 54 (VE.MA.CC.)
122. Publicité pour la Gilda’54, vendue par la VE.MA.CC.
Publicité Gilda 54
123. Publicité de 1954 pour la nouvelle Gilda où apparait son prix de vente : 23,000 Lires.
Publicité Gilda 58 (Gaggia Espanola)
124. Publicité espagnole pour la Gilda’58, La Vanguardia du 23 décembre 1958.

Il ne semble exister aucun brevet pour cette machine, ni pour invention ni pour dessin et modèle. Elle utilise pourtant un mécanisme sensiblement nouveau par rapport à ce qui se faisait jusque-là. Possible que Gaggia ait plus ou moins cessé de croire dans les brevets, voyant qu’il finissait par se faire copier de toute façon, ou que ce brevet existe seulement en Italie. La compagnie a un historique relativement limité en nombre de brevets, notamment par rapport à Valente qui en dépose une quantité phénoménale. La nouvelle Gilda, la Gilda’54, est offerte à un prix un peu plus bas que la première version : 23,000 Lires à sa sortie. La Gilda 54, devient la Gilda 55, 56, … et ainsi de suite jusqu’à la fin des années 50 sans trop de changement à la machine elle-même. Elle sera vendue au moins jusqu’en 1960 où on la retrouve dans un catalogue, vendue 24,000 Lires.²²

Seule la concurrence s’ajuste : Valente pense à un nouveau modèle et dépose un brevet en Italie le 5 juillet 1955 pour une Faemina revisitée, elle aussi aux formes plus arrondies. Il n’existe aucun exemplaire connu de cette machine qui a pourtant été fabriquée, au moins sous forme de prototype, car une photo d’un exemplaire existe, prise sur une ligne de production de la Faemina.

Brevet Valente ES226092 (Faemina modifiée) - 1956
125.«Maquina para cafe de tipo familiar», brevet déposé en Espagne par Ernesto Valente le 10 janvier 1956 (numéro ES226092).
Prototype Faemina modifiée
126. Photo d’une ligne de production de la Faemina où apparaît en premier plan la version revisitée.

C’est possiblement devant le succès de la nouvelle Gilda qu’il a changé ses plans, attendant la machine qui allait vraiment pouvoir se démarquer et lui permettre d’occuper une nouvelle niche. C’est ce que lui offre sur un plateau Pietro Papetti en 1957, avec une petite machine d’une telle simplicité de conception qu’elle peut être offerte à seulement 5,000 lires. Pietro Papetti, de Bargamo, dépose son brevet en Italie le 28 novembre 1956 et un certificat d’addition le 17 janvier 1957. Il s’entend certainement avec FAEMA qui lui rachète ses droits fin 1957. Ainsi, les brevets déposés en France, Belgique et Autriche en novembre 1957 sont déposés au nom de FAEMA en le citant comme inventeur. Au même moment (le 21 novembre) l’entreprise de Valente dépose les marques «Baby Faemina» et «Chiquita Faemina». C’est finalement le nom «Baby», tout simplement, qui restera avec l’usage.

Publicité FAEMA Baby
127. Publicité pour la FAEMA baby où apparaît le prix de vente : 5,000 Lires.
Brevet Papetti FR1186666 - 1957
128. «Machine pour préparer le café-crème dans l’économie domestique», invention de Pietro Papetti déposé en France par FAEMA le 22 novembre 1957 (numéro FR1186666).
Marques Baby et Chiquita Faemina - 1957
129. Dépôt des marques baby Faemina et chiquita Faemina par FAEMA (numéros 134446 et 134447, le 21 novembre 1957).
Modèle Baby avec sa boîte d'origine
130. Une FAEMA Baby et sa boîte d’origine.
kiosque FAEMA Baby
131. Des hôtesses offrent sur un kiosque une crème de café préparée sur la FAEMA baby.
Annonce FAEMA Baby - 1958
132. Annonce dans la Gazzetta del Mezzogiorno – Cremona, 19 novembre 1958.

La promotion du dernier né (c’est le cas de le dire) bat son plein. Pour convaincre la clientèle des qualités et de la facilité d’utilisation de la machine, certains représentants de la marque offrent même le café à ceux qui viennent leur rendre visite. Au niveau de la conception, on peut dire qu’elle est le pendant de la Gilda’54, mais sans ressort (un scénario inverse de celui de la sortie de la Faemina après la Gilda). Elle possède elle aussi deux bras de levier, sur lesquels on pousse simultanément pour forcer sur le piston et produire la crème de café. La machine est très compacte et se range dans une petite boite, un cadeau parfait pour les fêtes.

Publicité couleur FAEMA Baby
133. Publicité en couleur et en français pour la FAEMA baby.
Publicité FAEMA Baby - instructions
134. Publicité FAEMA baby ventant la facilité d’utilisation de la petite machine.

Voilà pour les petits leviers… c’est le début d’une longue série qui se poursuit encore aujourd’hui. Dans la liste des brevets, la suivante et non la moindre est l’œuvre du Dottore Emidio Salati, de la Vetraria Ambrosiana Milano (V.A.M., 9 Corso Venezia à Milan). Il dépose le 23 avril 1956 (sous le numéro 553.125) le brevet italien de celle qui deviendra la Caravel Arrarex. À partir de 1956, il y a une myriade de petites machines produites. Pour s’en rendre compte, il suffit de visiter le site très bien documenté de Francesco Ceccarelli.²³

Achille Gaggia devant un bar (années 50)
135. Achille Gaggia (à gauche), devant un bar de Milan.

Achille Gaggia, quant à lui, s’apprête à passer la main de l’entreprise à son fils Camillo et son partenaire Migliorini. L’aventure n’est pas tout à fait terminée pour lui mais le plus gros du scénario a déjà été joué. Il aura son nom au générique, et même en haut de l’affiche, avec à son actif beaucoup de premières et de levés de rideaux. On pourra se repasser le film encore longtemps, y trouvant chaque fois quelque chose de nouveau.

À suivre…

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¹⁷. Léon Tolstoï, Préface à la traduction russe des œuvres de Maupassant, 1894 (cité par Sylvain Tesson dans «Une très légère oscillation», Éditions des Équateurs, 2017). Guy de Maupassant disait lui-même, «Le talent provient de l’originalité, qui est une manière spéciale de penser, de voir, de comprendre et de juger.»
¹⁸. Voir sur le sujet de Home-Barista pour les détails du calcul.
¹⁹. Voir Episode 16
²⁰. Saturno, Nettuno, Marte, Mercurio, Venere et plus tard Urania… il ne manque que la «Giove» (Jupiter) à la série pour compléter le système solaire à part la Terre.
²¹. La machine, au mécanisme très particulier, était produite par celui qui a introduit la Microcimbali en Espagne.
²². Source: Francesco Ceccarelli. On trouve sur la même page une Baby à 5,000 Lires et une Microcimbali à 45,000 Lires.
²³. Dans la section «Dalla A alla Z» du site Francesco Ceccarelli sont recensés tous les petits leviers domestiques connus et moins connus.
 
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Publié par le 31 décembre 2017 dans Histoires et Histoire

 

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Ascenseur pour l’expresso (Episode 29)

Le talent d’Achille (3/5)

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1950, cinq ans après la célèbre conférence au palais de Livadia qui a vu les «vainqueurs» de la Seconde Guerre Mondiale se partager le monde, on peut imaginer qu’Achille Gaggia et Ernesto Valente se sont, eux aussi, offert leur rencontre au sommet. Le Yalta de la machine espresso, en quelque sorte, afin de se répartir le marché mondial. L’Angleterre pour toi, la France pour moi. L’Italie et l’Espagne moitié-moitié. On raconte que les deux hommes se sont séparés à cause de visions différentes, certains disent qu’ils étaient en guerre… une guerre froide peut-être. Durant les dix années suivantes, leurs parcours resteront extrêmement liés.

Ils étaient en effet associés depuis la fin de la guerre et avaient réussi le pari de produire en grand l’invention de Cremonese améliorée par Gaggia et étaient ainsi parvenus à détrôner les machines «express» à colonnes. Le brevet Cremonese de 1936, possession de Gaggia, qui signait la fin de l’ère initiée par Moriondo en 1884 et lancée par le duo Bezzera/Pavoni, devait normalement expirer en juin 1951.

Fiera di Milano 1952
42. Banderole annonçant la foire de Milan de 1952, Via Carlo Maria Martini en direction du Duomo.
Publicité Gaggia Classica
43. Publicité Gaggia pour le modèle Classica, 1950.
Voiture Gaggia
44. Voiture publicitaire ou de service Gaggia, vers 1950.

Normalement… car le 14 décembre 1950, Achille Gaggia dépose une requête auprès de la Commission des recours en matière de Brevets, profitant d’une toute nouvelle loi passée seulement deux mois plus tôt.¹¹ Celle-ci l’autorise à demander une prolongation d’une durée maximale de 5 ans en démontrant que la guerre l’a privé de la jouissance de son invention. La décision est rendue le 12 octobre 1951 et accorde le prolongement du brevet jusqu’au 24 juin 1956. Voilà une décision qui a dû en enrager plus d’un. Cela veut aussi dire qu’il y a eu une période de flottement entre juin et octobre 1951, où certains ont dû tenter de s’engouffrer. Suite à la même requête, le brevet Gaggia de 1938 est, lui aussi, prolongé jusqu’au 5 septembre 1958.

C’est peut-être la fin de ce brevet que Valente avait anticipé puisqu’il a tout fait pour que ses premières machines sortent en 1951. Toujours est-il qu’avec les prolongements, sachant qu’il était le seul à avoir une relation aussi privilégiée avec Gaggia, il a bien dû trouver un accord commercial avec lui pour continuer son ambitieuse production.

Brevet Valente FR1047736
45. Brevet pour un groupe levier déposé en Italie le 12 mai 1950 par Ernesto Valente et Felice Arosio (ici «Pompe à double effet pour cafetière», brevet FR1047736A du 12 mai 1951).
Publicité FAEMA Nettuno
46. Une des premières apparitions dans la presse de la machine à «Hydrocompression» FAEMA (Gazzetta del Mezzogiorno – Cremona, 31 mars et 4 avril 1951).
Brevet Valente IT513080
47. Brevet italien 513.080, déposé pour FAEMA en Octobre 1953 (estimé d’après le numéro du brevet).

Une chose est sûre, en 1950 il y a certainement de la place pour deux car si les deux comparses ont commencé à s’imposer en Italie, il reste le monde à conquérir. Jusqu’en juin 1956, cela fait une longue période où les deux hommes auront le champ libre pour s’imposer dans l’ère naissante de la «crema di caffe naturale». Achille Gaggia a déjà son modèle depuis 1947, la Classica. Valente, aidé de Felice Arosio qui sera son ingénieur jusqu’à la fin des années 50, commence par développer un groupe espresso dont le levier est centré et les joints montés sur le piston plutôt que sur la chemise. Le groupe présenté dans le brevet, qui introduit aussi des roulements plutôt qu’une crémaillère, est déposé en Italie le 12 mai 1950 (d’après une mention dans le brevet français). Le dessin montre un groupe identique à celui qui se retrouvera sur les premières machines FAEMA. La naissance de ce groupe est peut-être légèrement antérieure puisqu’on retrouve un brevet FAEMA pour modèle ornemental intitulé «Rubinetto per macchine da caffè con chiusura senza guarnizione», obtenu le 14 décembre 1949 (numéro 32803).

Valente crée ensuite ses propres modèles, à l’allure très différente des modèles Gaggia et portant des noms inspirés du système solaire. Les Nettuno et Saturno, avec leurs groupes en forme de monstre à deux têtes, commencent à être fabriqués par l’usine FAEMA de via Casella fin 1950 – début 1951, en parallèle avec la production des Classica de Gaggia. Un autre brevet pour modèle ornemental («Macchina per caffè espresso con basamento rivestito a griglia verso il consumatore con specchio retrostante e interposta sorgente luminosa irradiante anche su lastra di cristallo sovrapposta al basamento», numéro 35009), déposé cette fois par Valente et Arosio et obtenu le 9 septembre 1950, semble correspondre à ces premiers modèles.

FAEMA brochure Nettuno
48. Dépliant publicitaire de FAEMA pour le modèle 2 groupes Nettuno, vers 1951.
Brevet modèle Nettuno
Brevets modèles Marte et Mercurio
49. Modèles Nettuno, Marte et Mercurio (de haut en bas) déposés à l’INPI par FAEMA Nice le 23 septembre 1953 (ref. 47548).
Voiture publicitaire FAEMA
50. Camionnette publicitaire FAEMA avec l’arrière vitré, concept qui a fait l’objet d’un brevet déposé en juillet 1952.

Pour se démarquer de Gaggia, la firme utilise le terme «Idrocompressionne» pour désigner la technologie de sa nouvelle machine. On peut voir dans un brevet de 1953 que la base des Nettuno est très imposante pour pouvoir renfermer la fameuse chaudière à deux cylindres brevetée par Gaggia, positionnée horizontalement. La disposition permet de mieux voir les groupes et la préparation de l’espresso. L’arrière de la machine est aussi étudié, il peut être illuminé pour mettre en relief la calandre faisant face au client et la marque FAEMA écrite sur fond blanc.

Valente s’y connait en affaires. La compagnie développe un véhicule publicitaire vitré dont elle se sert pour montrer ses machines et offrir des cafés à travers la ville. Le concept est même brevetté en 1952 («Autoveicolo-saloncino per esposizione e vendita per macchine da caffé e per assaggio della bevanda», modèle d’utilité validé le 11 juillet 1952 sous le numéro 41219). Les nouvelles machines se promènent ainsi dans les rues de Milan, puis dans de nombreuses autres villes d’Italie. Les Nettuno et Saturno sont rapidement rejointes par les modèles Marte et Mercurio, plus proches esthétiquement de la Classica.

Pub FAEMA 1953
51. Publicité de FAEMA dans la Gazzetta del Mezzogiorno – Bari, 20 septembre 1953.
Usine logo FAEMA via Ventura
Usine FAEMA via Ventura
52. Couverture d’un fascicule de la société FAEMA montrant sa nouvelle usine de Via Giovanni Ventura ainsi que le nouveau logo de la marque, et photo de l’entrée de l’usine vers 1952.

Les ventes décollent et, vers 1952, FAEMA déménage sa production du 7 via Casella aux 3-5 via Giovanni Ventura, dans une nouvelle usine très spacieuse, capable de produire une machine toutes les 16 minutes (selon une publicité de l’époque). Elle adopte un nouveau logo, qui incorpore la Nettuno et le Duomo de Milan, en plus du célèbre biscone milanais (comme sur les logos de Bezzera et de Fiat). Dans un journal de 1953, elle annonce posséder des fabriques en France,¹² en Suisse et en Autriche, en plus d’agences commerciales dans de nombreuses villes italiennes puis européennes.

Fabrique FAEMA Avenue Trident Nice
53. Camionnette FAEMA et groupe d’employés posant devant la fabrique de Nice, située 1 avenue du Trident (vers 1950).
Agence FAEMA Espagne
54. Groupe d’employés posant devant une agence commerciale espagnole, vers 1955.
Pub FAEMA Torino 1952
55. Publicité de FAEMA dans la Gazzetta del Mezzogiorno – Cremona, 2 février 1952.

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Billet Fiera di Milano 1951
Fiera di Milano 1951
56. Banderole annonçant la foire de Milan de 1951, Piazza del Duomo.

Pour Gaggia, 1951 est aussi une année charnière. Il lance cette année-là un nouveau modèle, l’«Esportazione», présenté pour la première fois à la XXIXe foire de Milan. En Italie, elle fait l’objet d’un brevet pour modèle ornemental intitulé «Macchina per caffè espresso con corpo sopraelevato avente estremità semicilindriche» (obtenu le 9 juin 1951, sous le numéro 38145). Des brevets pour dessins et modèles sont aussi déposés en France et aux États-Unis. L’Esportazione est une machine aux lignes originales, qui sera surnommée la «boîte de sardine» à cause de sa forme arrondie et sa facture en tôle ondulée. Ses côtés semi-cylindriques, qui lui donnent cette ressemblance, sont en fait utilisés comme compartiments pour ranger les tasses.

Gaggia Esportazione Fiera di Milano 1951
57. Publicité soulignant le lancement de la «Tipo Esportazione» de Gaggia, Gazzetta del Mezzogiorno – Bari, 8 mai 1951.
Pub Gaggia Esportazione 1951
58. Publicité Gaggia pour le modèle Esportazione, La Stampa, 30 août 1951.
Brevet Gaggia Esportazione USD169842
59. Brevet pour modèle déposé aux Etats-Unis par Achille Gaggia le 19 juin 1951 (numéro USD 169.842).
Brevet Gaggia Esportazione INPI
60. Modèle Esportazione déposé à l’INPI par Gaggia le 22 mai 1951 (ref. 43381).

Achille Gaggia, qui travaille de concert avec son fils Camillo, vient de s’associer à l’ingénieur Armando Migliorini pour lancer sa propre production dans de nouveaux ateliers situés 3, Via Rodolfo Carabelli, à Milan. Il partage avec lui 50% de la compagnie Gaggia, dont le siège est transféré du 69, via Archimede (soit à deux pas de la fabrique La Pavoni où étaient produites les Lilliput) au 18, Via Angelo Maj. Courant 1951, l’usine commence à produire les Esportazione. Un autre ingénieur, Capsoni, est aussi évoqué comme étant un personnage clé de la réussite de ce lancement.

Le nom choisi pour le modèle, ainsi que le visuel utilisé pour la promotion publicitaire sont clairement tournés vers la conquête du marché international. Des machines sont vendues en Afrique (à travers les anciennes colonies) et, grâce à la diaspora italienne, jusqu’en Amérique et en Australie.

Achille Gaggia Esportazione
61. Achille Gaggia (à droite, possiblement accompagné de Migliorini) posant fièrement devant un modèle Esportazione 6 groupes flambant neuf, 1951.
Pub Esportazione 1951
62. Publicité Gaggia pour le modèle Esportazione, Gazzetta del Mezzogiorno – Cremona, 5 décembre 1951.
Camillo Gaggia Esportazione
63. Camillo Gaggia (à droite) discutant avec des collaborateurs autour de la machine à café du bureau.
Gaggia Fiera di Roma 1951
64. Stand Gaggia à la foire de Rome de 1951.
Gaggia Fiera di Milano 1951
65. Stand Gaggia à la foire de Milan de 1951.
Stand Gaggia Esportazione
66. Employés de Gaggia (dont possiblement Migliorini à droite), posant sur un stand aux commandes d’une Esportazione 6 groupes.
Fiera di Milano 1952
67. Kiosque d’information à l’entrée de la foire de Milan, 1952.
FAEMA Fiera di Milano 1952
68. Publicité FAEMA pour la présentation de son groupe «Isotermico» à la foire de Milan, Gazzetta del Mezzogiorno – Cremona, 9 et 12 avril 1952. On remarquera le prénom prédestiné du représentant pour Cremona et Mantova.
Stand FAEMA Nettuno
69. Stand FAEMA dans une foire commerciale, présentant son modèle Nettuno.
Fiera di Milano 1953
70. Affiche pour la foire de Milan de 1953.
Gaggia Fiera di Milano 1953
71. Stand Gaggia à la foire de Milan de 1953 où sont présentés des modèles Esportazione, Classica, Spagna et Gilda.

La «boîte de sardine» de Gaggia se retrouve bientôt dans tous les restaurants et bars à la mode. Il est de toutes les foires commerciales, où il côtoie sa désormais concurrente FAEMA qui livre une bataille féroce, allant jusqu’à organiser sur leur stand un concours permettant de gagner une voiture ou un scooter. En 1953, de nouveaux modèles s’ajoutent à la Classica et l’Esportazione : la Spagna et la Gilda. À l’instar de FAEMA, un camion publicitaire Gaggia sillonne les rue d’Italie avec la particularité d’être une réplique géante de l’Esportazione. Petit camion ira loin, on le retrouve même au Danemark, roulant pour la marque Oluf Brønnum & Co.

Camion FAEMA piazza del Duomo Milan
72. Camion publicitaire FAEMA, piazza del Duomo, Milan, vers 1953.
Camion Gaggia Luigia Molodo
73a. Camion publicitaire de Gaggia, en forme de modèle Esportazione géant, vers 1951. A l’intérieur une Classica et une Esportazione. En avant, Luigia Molodo (à droite, la femme d’Achille Gaggia) certainement accompagnée de la femme de Camillo et du petit-fils Giampiero.
Camion Gaggia Esportazione
73b. Le même camion servant des espressi aux passants…
Camion Gaggia Esportazione Spagna Danemark
73c. … jusque sur les routes du Danemark, vers 1953 : la Classica a été remplacée par un modèle Spagna.

Gaggia a une très forte présence en Angleterre (nous y reviendrons) et en Espagne où la Société «Gaggia Española» est créée à Barcelone dès 1952. Comment avoir réussi à s’implanter dans l’Espagne Franquiste? C’est une histoire qui semble plutôt relever du hasard. Le riche homme d’affaire Estaban (Esteve) Sala Soler, propriétaire d’hôtels et de bars, est contraint de s’exiler momentanément à Milan après s’être brouillé avec le gouverneur de Barcelone, Eduardo Baeza Alegría. Il est tellement conquis par l’espresso qu’en 1951, il ramène dans ses bagages une machine Gaggia et finit par acquérir les droits de production et d’utilisation du nom Gaggia pour l’Espagne. Cette association est assez étrange car Sala Soler était phalangiste, ce qui ne s’accorde pas vraiment avec le passé anti-fasciste de Camillo. Mais les affaires ont certainement leurs raisons que la raison ne connait point. La relation entre les deux sociétés finira cependant assez mal puisque Gaggia Italie intentera un procès à la compagnie espagnole dans les années 80, pour utilisation frauduleuse de son nom.¹³

Gaggia Espanola 1952
Gaggia Espanola 1952
74. La nouvelle société Gaggia Española cherche des concessionnaires pour l’Espagne. Journaux ABC et La Vangardia, 25 et 30 septembre 1952.
SIATA Formichetta Gaggia
75. Fourgonnette publicitaire Gaggia pour l’Espagne, Siata modèle «Formichetta», vers 1955-1960.

Gaggia Española avait sa propre usine de production et une certaine indépendance vis-à-vis de la maison mère, jusqu’à produire ses propres modèles et sécuriser ses propres inventions. Il existe ainsi de nombreux brevets de Sala Soler, déposés avec son gendre, Carlos de Villalonga Taltavull. C’est d’ailleurs avec lui qu’il créera plus tard la société Italcrem (marque déposée en 1957, qui produira aussi les Visacrem). Sala Soler sera également à l’origine de SIATA Española en 1955, une marque de voitures basée à Turin (Società Italiana Auto Trasformazioni Accessori) qu’il implante aussi chez lui. Cela vaudra à la tradition de la voiture publicitaire Gaggia de se perpétuer en Espagne.

Comme on peut le voir sur une pleine page de journal en 1953, la société fabriquait semble-t-il des modèles Classica à ses débuts. De sorte qu’il existe aujourd’hui des machines Gaggia de différente facture. Pour rajouter à la confusion, la société italienne produira à partir de 1952 un modèle appelé «Spagna» avec le dos plat (rainuré, gaufré ou lisse), les poignées marrons ou noires¹⁴ (et même un levier centré sur quelques rares machines). On peut distinguer des Spagna sur le stand Gaggia de la foire de Milan de 1953. Ce modèle correspond certainement à celui déposé sous l’interminable titre «Macchina per caffè espresso comprendente una base a piatto con modanature verticali, un corpo centrale rettangolare ad angoli curvi con motivo, nella parte superiore, che si richiama al motivo del piatto, ai lati del detto corpo centrale essendo applicati…» (obtenu en Italie le 14 mai 1952 sous le numéro 41331). Ces machines seront aussi produites en partie à Barcelone.

Gaggia Espanola Classica
76. Publicité Gaggia Española, journal ABC – Sevilla, 4 septembre 1953.
Gaggia Esporatzione 1
Gaggia Esporatzione 2&3
77. Modèles Gaggia Esportazione, versions avec tôle ondulée et lisse.
Gaggia Spagna 1
Gaggia Spagna 2&3
78. Modèles Gaggia Spagna, versions avec tôle ondulée et lisse (la machine à droite porte l’inscription «Barcelona»).
Pub FAEMA Espagne 1954
79. Publicité FAEMA dans un journal espagnol, ABC, 17 novembre 1954.

La compagnie FAEMA est aussi présente très tôt en Espagne, elle annonce dans une publicité de 1954 avoir sa propre fabrique à Barcelone (en plus de Milan, Nice, Vienne, Munich, Caracas, Lausanne, Londres, New-York, Bogota et Casablanca). Dès 1953, Valente avait personnellement déposé auprès des autorités espagnoles des brevets pour ses modèles Nettuno, Mercurio et Marte.

Quelles étaient alors les relations entre Gaggia, Gaggia Española et FAEMA ? La réponse se trouve peut-être, au moins symboliquement, dans une anecdote rattachée aux trois compagnies. Il s’agit d’un groupe levier sans chaudière, destiné à une machine compacte ou murale. Brevetti Gaggia et Gaggia Española déposent le même brevet à des dates légèrement différentes (14 octobre 1953 en Italie, d’après une mention sur le brevet GB751687A, et 26 mars 1954 en Espagne). Ce qui est assez étrange, c’est le dessin apparaissant sur un (autre ?) brevet italien de Gaggia déposé dans les mêmes dates (le numéro le situerait en juillet de la même année). L’espagnol présente un levier décentré, signature de Gaggia, alors que l’italien a un levier centré. Il y en a même deux versions : une très similaire au levier FAEMA, avec les joints sur le piston, et l’autre plutôt hybride, avec les joints sur la chemise. Les deux dessins ont le même système de chauffage et d’injection d’eau froide, ainsi que la poignée typique de Gaggia. Or, aucune des deux compagnies ne semble avoir commercialisé ce type de machine. C’est plutôt FAEMA qui produira un tel modèle à partir de la fin des années 50,¹⁵ dont il fera un succès : la Veloxtermo, machine murale avec un groupe levier intégrant une résistance.

Brevet Gaggia Espanola 1954
80a. «Un aparato para la preparación de café exprés», brevet espagnol numéro 214531, déposé le 26 mars 1954 par Gaggia Española S.A.
Brevet Brevetti Gaggia 1954
80b. Brevet italien numéro 523.099 déposé par Gaggia en juillet 1954 (date estimée d’après le numéro du brevet).
Schema Velox 1959
80c. Groupe Velox, commercialisé par FAEMA dans les années 1960.
Valente-Arosio Murale 1952
80d. «Aparato sin caldera para la preparación del café», brevet ES-0208416 de Felice Arosio et Ernesto Valente déposé le 13 mars 1953.

Mais rendons à Arosio et Valente ce qui leur appartient: ils avaient proposé une machine à levier murale en 1952 (déposé en Italie le 14 mars 1952 d’après la mention dans le brevet US 2,755,733) mais qui tient plus de la Velox embryonnaire : la fixation du groupe sur une plaque métallique et le porte-tasse ajustable sont semblables mais elle comprend aussi deux réservoirs placés sur les côtés (un pour le café moulu, l’autre pour la vapeur). Elle avait même un tasse-mouture et une « knock box » intégrée (éléments 81, 83 et 82 du brevet). Cela en fait, esthétiquement, une machine plus proche des premières Reneka électriques que de la version que l’on connaît. À la lecture du brevet, on peut interpréter que le chauffage électrique est intégré à l’arrière du groupe mais celui-ci n’est pas clairement représenté sur le dessin… qui a, de plus, un levier ridiculement disproportionné (élément 71). Voilà ce qui a peut-être permis à Gaggia de déposer son propre brevet.

Des idées qui fusent, reprises de part et d’autre, un brevet d’Achille Gaggia qui a un petit air de défi vis-à-vis de Valente, une compagnie espagnole laissée partiellement en-dehors de la bataille, et FAEMA qui en fera finalement un succès commercial… voilà une belle parabole de leurs relations.

Autre trouvaille insolite du côté de Gaggia Española, cette coupure de journal montrant une photo prise à Madrid fin 1953. On y remarque, sur la table autour de laquelle le groupe de collaborateurs est rassemblé, une petite machine à nulle autre pareille. Si c’est bien une machine espresso, elle possède deux groupes leviers très rapprochés, avec des poignées atypiques, semblables à celles des Gilda’54 plutôt que celles des Gaggia classiques. La carrosserie, de forme trapézoïdale, est faite de tôle rainurée et le nom de la marque, «Gaggia», se découpe en lettres allongées sur la face arrière. Attention, cette machine est un ovni qui pourrait réveiller les ardeurs de collectionneurs. Une machine qui reste à découvrir dans le fond d’un grenier, tout comme les deux suivantes.

Machine OVNI Gaggia Espanola 1953
81. Article de journal sur la réunion des collaborateurs de Gaggia Española, ABC, 8 décembre 1953.

Voici maintenant la Gaggia Frankenstein, issue d’un brevet pour dessins et modèles italiens de 1954. Comme indiqué dans l’intitulé, la machine possède deux rangées de groupes alignés de chaque côté de la chaudière, se trouvant donc dos à dos. Cette machine, comme la précédente, a bien été construite puisqu’elle apparait là en photo. Jamais je n’avais vu auparavant de configuration de ce type. C’est peut-être une commande spéciale d’un bar ou d’un hôtel car cela demandait un comptoir spécial, en forme d’îlot, pour pouvoir l’opérer. Mais alors, pourquoi la protéger par un brevet ? Mystère.

Machine Frankenstein Gaggia 1954
82. «Macchina per caffè espresso con gruppi per la preparazione del caffè disposti su due pareti opposte del corpo della macchina», brevet pour modèle numéro 47615, obtenu par Gaggia le 5 janvier 1954.¹⁶

La dernière machine est beaucoup plus intéressante. Présentée à la foire de Milan de 1952, c’est un modèle Gaggia encore non répertorié à ce jour. La «Pandora», c’est son nom, est une machine très élégante, munie d’une auto-régulation (électrique) de température et d’un auto-ajustement du niveau d’eau. Elle comprend donc deux innovations correspondant à des brevets pour modèles déposés en 1952 et 1953 («Dispositivo di autoregolazione per macchine per la preparazione di caffé o infuse», numéro 41982 du 16/07/1952 et «Regolatore magnetico di livello a galleggiante per caldaie per macchine da caffè», numéro 45255 du 30/05/1953). Disponible en un ou deux groupes, elle était certainement destinée aux petits cafés, voire à l’usage domestique. Elle ne trouvera apparemment pas sa place sur le marché car il n’en existe aucun exemplaire connu à ce jour.

Gaggia tipo Pandora 1952
83. Publicité Gaggia pour la XXXe foire de Milan et la présentation de son modèle «Pandora». Gazzetta del Mezzogiorno – Cremona, 25 avril 1952.

Elle préfigure peut-être les modèles «Treno» (ces machines Gaggia destinées à être fixées à un mur, de côté, sur les lignes de wagons-lits Rome ou Venise-Paris) et «Spagna 3L» (rares machines avec un levier centré, produites autour de 1955). Il existe un autre modèle apparenté, mais destiné à être fixé dos au mur, qu’il faudrait peut-être appeler «Navi» puisque le seul brevet qui semble y correspondre s’intitule «Macchina per crema di caffè espresso, atta ad essere installata a bordo di navi» (numéro 70913 du 05/01/1959). Là encore, il ne semble rester qu’une photo de ce modèle. Avis aux chercheurs d’or.

Gaggia tipo Treno
84. Modèles Gaggia «Treno» équipant la compagnie de wagons-lits, dans sa version italienne (à gauche) et espagnole (à droite).
Gaggia tipo Spagna 3L
85. Modèle Gaggia Spagna 3L (en bas et en haut à gauche) et un modèle mural non identifié («Navi» ?, en haut à droite), tous deux possédant une cuve à remplir et un levier centré et courbé.

Pour ma part, je me contenterai d’aller un jour à Rome feuilleter ces brevets pour dessins et modèles dont on a que de trop rares photos, afin de clarifier tout ça…

À suivre…

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¹¹. Art. 1 de la legge 10 ottobre 1950 n. 842 in matere di prolungamento del periodo di validita della durata dei brevetti per invenzioni industriali (reference).
¹². Certains font remonter en 1949-1950 l’implantation de FAEMA à Nice, avenue du Trident. Rien ne semble le confirmer (seul le dépôt à l’INPI montre qu’elle y déjà était début 1953). En fait son numéro d’enregistrement au Registre du Commerce de Nice (R.C. 51 B 13) indique que la société ne s’est enregistré en France qu’en 1951 (renseignement obtenu auprès des Greffes de Nice).
La seule trace que l’on peut trouver facilement dans des archives est le rachat par FAEMA (S.A.R.L. Société française des machines à café F.A.E.M.A., au capital de 5 millions de francs – Fabrication, commerce, réparation des machines à café et tous autres appareils) pour plus de 200 mille francs, du 1 av. du Trident pour des fins «d’établissement industriel et commercial de fabrication et vente de machines à café et d’accessoires», et «exploité à dater du 12 avril 1955(1953?)» [Bulletin officiel des annonces commerciales – 1955]. Elle y déménage aussi son siège social français qui se trouvait précédemment au 2, boulevard Prince-de-Galles, Villa «La Merette».
¹³. Le jugement confirmé en appel, sera finalement annulé en cassation à cause des termes de l’entente initiale de 1952.
¹⁴. Une théorie veut que les poignées marrons étaient le signe de fabrication italienne alors que les poignées noires étaient pour l’export et/ou des productions française ou monégasques. L’origine était normalement indiquée sur la machine.
¹⁵. Enrico Maltoni date une brochure de la Velox en 1952 mais cette date est plus que douteuse étant donné les brevets Gaggia de 1953-1954, ainsi que la marque «Veloxtermo», qui n’est déposée par Valente que le 8 juin 1959. [VELOXTERMO, Registro No 144845, «MACCHINE DA CAFFE’ ELETTRICHE», data deposito 08/06/1959, data registrazione 29/07/1959]. De plus, il existe un brevet pour modèle de 1960 qui semble y correspondre: «Gruppo lisciviatore a stantuffo per la preparazione istantanea del caffè, su pannello a muro», brevet 77993, obtenu le 29/04/1960.
¹⁶. «BAR – Bellezza | Arte | Ristoro – Architettura cibo e design nell’Italia del ‘900», ed. De Luca Editori d’Arte (2015), p.64.
 
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Publié par le 16 décembre 2017 dans Histoires et Histoire

 

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Ascenseur pour l’expresso (Episode 28)

Le talent d’Achille (2/5)

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La longue guerre et l’attente de Gaggia sont sur le point de se terminer. Au printemps 1944, alors que Manlio Marzetti est nommé adjoint au maire de Milan, les alliés libèrent Rome. Les combats continuent plus au Nord et la répression des partisans est sans pitié. Il faudra encore près d’un an pour que les villes de Milan et Turin soient libérées à leurs tours. Le 27 avril 1945, c’est enfin le dénouement: Mussolini qui tente de fuir vers la Suisse dans une colonne allemande est arrêté et exécuté.⁵

Libération de Milan 1945
16. Annonce de la libération de Milan et Turin à la une du journal l’Unità, 27 avril 1945.

Dans cette Europe débarrassée de l’extrême droite et contrôlée par les forces victorieuses, majoritairement de gauche, une toute nouvelle ère commence. Suite à la nationalisation des grands groupes industriels ayant profité de la guerre et au harnachement de la finance, de grandes réformes sociales sont mises en place. De cette expérience inédite vont naître les trente glorieuses, une période de prospérité sans précédent qui touche des pays pourtant dévastés et ruinés par la guerre.

Milan en est un exemple frappant : la ville qui avait été pilonnée de milliers de bombes va littéralement renaître de ses cendres et devenir en peu de temps un des symboles du « miracle italien ». La hausse du niveau de vie s’accompagne d’une transition vers une société de consommation où la « Dolce Vita » prend une part de plus en plus importante. C’est dans ce contexte très particulier que va naître l’espresso, un des symboles de ce renouveau à l’italienne.

Jeep Willys libération de Rome
17. Libération de Rome par les Alliés le 4 juin 1944.

À la libération, ce sont des Jeep Willys qui rentrent dans les villes italiennes tout juste derrière les partisans. On raconte qu’Achille Gaggia aurait monté son premier prototype de piston à ressort grâce aux pièces d’un de ces véhicules, symboles de l’armée américaine.⁶ Il y a bien des pistons sur ces engins, mais pas vraiment de ressorts. Or, c’est bien là que réside l’idée de génie de Gaggia et, de fait, son invention n’a que peu à voir avec l’Amérique, dont les soldats trouvent le café italien trop fort et lui préfèrent les « luongo ». La nouvelle invention de Gaggia est simplement la continuation directe de ses travaux d’avant-guerre. Cette guerre qui a plutôt été un frein et un facteur de stress important pour Gaggia. Avec le retour d’exil du fils Camillo, l’antifasciste, on imagine la famille de nouveau réunie et l’activité de l’entreprise reprendre tranquillement au sein du petit atelier de la rue Pietro Calvi. La production de groupes à vis « Lampo » se poursuit pour un temps, dans une version en laiton et amiante…⁷ jusqu’à la fameuse épiphanie du printemps 1947, il y a tout juste 70 ans.

Atelier Gaggia rue Pietro Calvi
18. Vue de la Piazza Risorgimento vers 1950. L’adresse où se trouvait l’atelier de Gaggia (2, rue Pietro Calvi) est indiquée par la flèche.
Camillo Gaggia vers 1950
19. Photo de Camillo Gaggia, certainement prise dans les bureaux de l’entreprise familiale qu’il rejoint en 1948 et où il travaillera jusqu’en 1989. (Cette photo est souvent présentée à tort comme étant une photo d’Achille, notamment sur le site de Gaggia).³

Crema caffè di caffè naturale

En juin et août 1947, Achille Gaggia dépose coup sur coup deux brevets qui sont les fondations de son futur succès : un brevet pour une nouvelle chaudière et le brevet pour son célèbre piston à ressort. Pour la chaudière, la chose est un peu anecdotique, sauf qu’elle préfigure la forme qu’auront ses premières machines (les «Classica»), ce choix d’une forme haute et horizontale. Elle montre aussi le désir de présenter une machine complète et plus seulement un groupe qui se monte sur les chaudières existantes, comme les «Lampo». On trouve dans le brevet une conception particulière à deux étages séparant eau chaude et vapeur, dans des versions verticales et horizontales. C’est surtout cette dernière qui sera finalement retenue pour les machines de deux groupes et plus.

La véritable bombe est plutôt contenue dans le deuxième brevet : le nouveau groupe piston à ressort. En inspectant le dessin, on retrouve clairement la filiation avec le premier groupe à vis de Gaggia (1938, épisode 27), lui-même directement issu de l’invention de Cremonese (1936, épisode 26). Ce qui est surprenant, c’est qu’en cet été de 1947, le groupe possédait déjà sa forme caractéristique, reconnaissable entre toutes, avec la partie supérieure vissée à l’aide d’un énorme écrou, sa calotte arrondie et le levier placé sur le côté, avec la poignée de bakélite noire constituée de quatre boules de diamètre croissant. Un casse-tête assemblé de près de 100 pièces, qui fait encore la fierté de ses heureux propriétaires, comme on peut le voir sur la magnifique photo de Paul Pratt.

Brevet Gaggia IT 432148 - 20 juin 1947
20. Brevet Gaggia numéro IT 432148, intitulé «Caldaia per macchine da caffé espresso», déposé le 20 juin 1947.
 Brevet Gaggia IT 432321 - 8 aout 1947
21 Brevet Gaggia numéro IT 432321, intitulé «Robinetto per macchine da caffé espresso», déposé le 8 août 1947.
Groupe Gaggia en pièces détachées
22. Photo d’un groupe Gaggia en pièces détachées [Photo de Paul Pratt].⁸
Cuve Gaggia
23. Photo d’une chaudière Gaggia, telle que celle décrite dans le brevet.[Photo de Doctor Espresso]
Brevet Gaggia DE938804C - 1950
24. Brevet Gaggia déposé en Allemagne le 31 mars 1950 (numéro DE938804C).

Comme dans le cas du modèle à vis, l’eau arrive de la chaudière lorsque le piston est en position haute (levier baissé et piston entraîné par la rotation d’un engrenage sur une crémaillère), mais plus besoin de forcer pour le retour : c’est le ressort comprimé qui applique la force nécessaire au passage de l’eau à travers la mouture. Le café n’est plus âcre, car il n’y a plus de vapeur et, conséquence miraculeuse de ce nouveau système, dans des conditions particulières de pression et de température, une « crème naturelle » se forme et coiffe le café. Il se trouve que ces conditions sont aussi celles où le café exprime au mieux ses arômes, le Graal de tout barista qui se respecte. Sûr de son coup cette fois-ci, le brevet est déposé dans la quasi-totalité des pays européens environnants (numéros CH262232A, FR986124A, BE489053A, AT179620B, DE938804C déposés entre 1947 et 1950) et Achille Gaggia inscrit fièrement sur la devanture de son bar « caffè crema di caffè naturale funziona senza vapore ».

Il a certainement fallu de nombreux essais pour en arriver au prototype final, ne serait-ce que pour régler la finesse de la mouture et la force du ressort. Y a-t-il eu d’autres prototypes avant cette version définitive qui a traversé les âges?

On est en droit de le penser si l’on se fie à une publicité publiée dans les journaux de 1951 (La provincia, Cremona, 31 octobre 1951 et La Stampa, 28 décembre 1951) on découvre en effet une sorte de chaînon manquant entre le groupe à vis de 1938 et le groupe à ressort de 1947. La publicité, qui présente une histoire du café façon Gaggia, commence avec l’éternelle (et fausse) légende de Kaldi, puis arrive à la révolution dans le monde du café évoquant le fait qu’« Achille Gaggia a été le premier à avoir l’idée de mécaniser la cafetière Napolitaine [sic], et en 1938 naît le premier groupe de filtration fonctionnant sans vapeur ».

L’image serait donc censée illustrer ce premier groupe à vis, sauf que c’est une sorte d’hybride entre le modèle à vis et le modèle à ressort, avec une poignée courbée au lieu du levier droit. Peut-être n’était-ce là qu’un dessin sorti de l’imagination d’un publicitaire. L’encart reprend en tout cas le parallèle entre la cafetière Napolitaine et le groupe de Gaggia, comme sur le célèbre logo déposé en 1949 (celui qui apparaît encore aujourd’hui sur les modèles « Classic »). Il manque simplement les dates « 1848-1948 », souvent présentes, qui ne semblent pas être un clin d’œil à l’histoire des machines à café, comme on le lit parfois, mais plutôt à l’histoire tout court.

Logos Gaggia 1949 et publicité 1951
25. Dépôts de marques 95632 et 95633 de 1949 (papier ocre) et dessins (groupe et signature) issus d’une publicité de 1951.
Logos Gaggia avant et après 1950
26. Logo apparaissant sur les machines Gaggia (à gauche avant 1950, à droite après).

En effet, 1848 ne correspond à aucune date particulière relative au café… si ce n’est précéder de 100 ans la sortie du groupe à ressort de Gaggia. La cafetière Napolitaine est selon toute vraisemblance une création française de Morize en 1819 (donc plus tôt), celle de Rabaut, ancêtre de la Moka, est de 1822 (antérieure aussi) et la cafetière hydrostatique géante de Loysel de la Lantais date, quant à elle, de 1853 (donc plus tard). À priori, il faut plutôt chercher du côté de l’histoire de l’Italie, et plus précisément celle de Milan : 1848 est l’année du printemps des peuples et des cinq journées de Milan, ces évènements qui annonce la première guerre d’indépendance de l’Italie. Le message publicitaire serait donc le suivant : le nouveau groupe de Gaggia est une véritable révolution, au moins aussi importante que la révolution de 1848. Avec le recul, caféologues que nous sommes, on ne peut pas vraiment lui donner tort.

Machine Gaggia collection Fumagalli
27. La machine à café Gaggia de la collection Fumagalli attribuée à Gaggia, 1948.

L’autre piste bien plus intrigante, est cette machine de la collection Fumagalli datée de 1948 dont le châssis rappelle grandement celui de la Classica, mais avec un mécanisme très similaire, semble-t-il, à celui de la Gilda (dont les deux modèles à un et deux bras ne sortiront respectivement qu’en 1952 et 1954). C’était peut-être là un balbutiement avant l’éclair de génie. Il est plaisant de se dire qu’il y a eu jaillissements d’idées dans ces années d’après-guerre, certaines expérimentées tout de suite avec un succès retentissant et d’autres plus ou moins achevées, gardées dans les cartons pour plus tard.

En route pour la gloire

Gare Centrale de Milan 1931
28. Vue de la Gare Centrale de Milan en 1931, quartier Abbadesse.

Contrairement à sa première invention, l’ambition de Gaggia est clairement de se séparer des machines à colonne et de proposer une machine complète, à l’instar des Cimbali, Pavoni et Arduino de ce monde. Achille, qui travaille à son nouveau prototype, se rend bien compte que ce n’est pas avec son petit atelier et ses connaissances certainement limitées en mécanique qu’il pourra parachever un modèle complet, et surtout le produire en grand nombre. Pour cela il lui faut une personne capable de l’aider… une personne d’expérience, propriétaire d’un atelier mécanique de préférence. On peut dire que cette année 1947 a été bien particulière et le succès retentissant provient aussi d’un autre évènement : c’est en cette même année, que Gaggia croise le chemin de Valente.

Ernesto Valente et Antonio Segni vers 1960
29. Poignée de main entre Ernesto Valente (à gauche) et le président Antonio Segni (à droite), datant vraisemblablement du début des années 60. C’est une des rares photos connues de Valente.
Quartier de la Gare Centrale de Milan 1951
Quartier de la Gare Centrale de Milan 1950
30. Vue du quartier de la Gare Centrale datant de 1950 et 1951. L’adresse où se trouvait le premier atelier FAEMA (2, via Progresso), et où furent assemblées les premières Classica, est indiquée par une flèche rouge. Avec un peu d’imagination, on peut retrouver les formes de la Classica dans ce l’architecture de la Gare.

Originaire du quartier d’Abbadesse, voisin de la Gare Centrale et pas très loin de celui de Porta Vittoria où habitait Gaggia, Carlo Ernesto Valente, né en 1913, avait quitté l’école à 12 ans, perdu son père à 13 et déjà roulé pas mal sa bosse dans différentes activités avant 1947 (relieur, fabricant d’instruments de musique, lui-même joueur de trombone, il sera père de 7 enfants). À 18 ans, alors qu’il travaille pour une compagnie de fournitures pour hôtels, il perd trois doigts de la main droite dans un accident de travail sur une scie circulaire, ce qui ne l’empêche pas de continuer sur sa lancée. Possédant déjà l’âme d’un entrepreneur, il investit l’argent des assurances dans une entreprise et en 1945, avec deux partenaires (Cantini et Peralla), il fonde la compagnie FAEMA («Fabbrica Articoli Elettromeccanici Meccanici Affini»), un atelier mécanique situé via del Progresso, près de la gare Centrale de Milan. L’entreprise est spécialisée dans la fabrication d’appareils électroménagers allant du réchaud électrique aux accessoires pour l’équipement des trains, en passant par des sèche-cheveux.

Publicité Gaggia Modèle Classica vers 1950
31. Publicité Gaggia pour la toute première machine espresso, modèle «Classica», datant de 1950.

Achille Gaggia qui vient certainement le voir avec son idée de machine à café à la recherche d’un partenaire, ou qui le reçoit dans son bar de via Premudale où il devait avoir un groupe de démonstration, trouve en lui quelqu’un qui le comprend. Non seulement il saisit le potentiel de son invention, mais il a ce qu’il faut pour donner jour au premier modèle et débuter une production en série. Il s’agit aussi de ne pas répéter l’erreur de Moriondo qui avait gardé son invention pour son propre bar : il faut la diffuser le plus possible pour conquérir les clients. Une première machine « made in FAEMA » voit le jour à la fin de 1947 et, pour démonstration, elle est installée dans un des cafés les plus en vue de Milan, le Donini de San Babila (dans un bâtiment complètement refait à neuf suite aux bombardements, qui est devenu par la suite le Ginrosa, un lieu emblématique qui existe encore aujourd’hui).

Bar Donini Piazza San Babila avant et après guerre
Etablissement Ginrosa Piazza San Babila
32. Photo du bar Donini (avant et après guerre), le lieu où a été installé la toute première Gaggia Classica.

C’est le tout début d’une grande aventure, et Giancarlo Fusco a déjà décrit ce moment historique mieux que personne:⁹ «Un matin de décembre 1947, dans un des bars les plus fréquentés de Milan, le Donini de San Babila, les consommateurs habituels de café et de cappuccino furent retardés de cinq minutes à cause d’une importante nouveauté. Sur le comptoir, à la place de la vieille machine soufflante et récalcitrante, se trouvait une toute nouvelle : et pas n’importe laquelle, une d’un modèle jamais vu auparavant. Au lieu d’avoir la forme verticale habituelle, celle d’une ogive, elle était horizontale; et alors, plus de sifflements de vapeur, plus de nuage de fumée et de sourds marmonnements. Le café coulait depuis les becs, silencieusement et lentement comme la première pluie, entraîné par une force obscure et mystérieuse. Le Barista, fier de l’attention suscitée, se limitait à abaisser un levier qui se relevait de lui-même…» (traduction libre).

Modèle Gaggia Classica 1 Groupe
33. Gaggia Classica 1 groupe.
Modèle Gaggia Classica 2 Groupes
34. Gaggia Classica 2 groupes. [Photo de CW Gebrauchtgeräete]
Brochure Gaggia Classica 1948
35. Brochure de Gaggia pour les modèles Classica, datant certainement de 1950.

… ecce la « crema di caffè ». Le succès va s’étendre rapidement et ce nouveau type de machine va ainsi trouver sa place sur les comptoirs de nombreux lieux populaires à travers la ville. Malgré les premières réticences, comme celles du patron du Caffè Taveggia qui accepte d’installer la machine à condition de la cacher derrière le comptoir,⁶ les machines fleurissent chez Biffi⁶ et Campari¹⁰ de la Galleria Vittorio Emanuele, chez Motta⁶ ⁷ et Alemagna,⁶ plus tard au fameux Club Astoria¹⁰ et dans de nombreuses villes d’Italie. Des machines de modèle « Classica» qui porte l’inscription «Officine Faema Brevetti Gaggia».

Liste cafés Gaggia Classica 1948
36. Liste des bars, cafés et restaurants où étaient installées des machines espresso Gaggia en 1948, avec des photos de certains de ces lieux (Taveggia, Alemagna, Biffi, Caffé Torino et Motta).

La nouvelle machine est aussi présentée à la foire de Milan de 1948. Si l’on se fie à l’une des rares photos de cet évènement, elle devait se trouver non loin du stand Fiorenzato et d’un autre fabricant de machines à café au style plutôt carré (non identifié). La machine de Valente et Gaggia, avec ses formes arrondies et sa tôle crénelée, et surtout ce levier inhabituel surmontant le groupe a dû attirer plus d’un regard, au moins curieux, et séduit des dizaines de visiteurs par le goût incomparable du café produit.

Affiche Foire de Milan 1948
Billet Foire de Milan 1948
37. Affiche et billet d’entrée de la foire internationale de Milan de 1948.
Stand Gaggia Foire de Milan 1948?
38. Stand Gaggia, possiblement à la foire internationale de Milan (entre 1948 et 1950).
Fiorenzato Foire de Milan 1948
39. Pavillon des objets ménagers et équipement pour les bars, foire internationale de Milan 1948.

À la fin de l’année 1948, plus de 90 machines ont été vendues et le succès est exponentiel. La collaboration entre Gaggia et Valente va tranquillement prendre fin en 1950, date à laquelle chacun poursuit sa route selon sa propre stratégie commerciale. Cette année-là, Gaggia déménage dans un nouvel atelier (au 3, via Rodolfo Carabelli) pour y faire cavalier seul et déménage aussi son bureau commercial du 69, via Archimède (tout à côté des ateliers Pavoni, situés au 26 de la même rue) au 18, via Angelo Maj, plus près de la nouvelle usine. Valente s’apprête à sortir ses propres modèles de machine à café, sous licence Gaggia, déménageant lui aussi dans un atelier beaucoup plus imposant au 7, via Casella (ancien emplacement de la S.I.L.PA., Società Industriale Laminati Profilati Alluminio).

Annonce Gaggia La Stampa 12/1950
Annonce Gaggia La Stampa 02/1951
40. Publicité Gaggia montrant la configuration de la nouvelle usine (La Stampa, 12 décembre 1950 et 20 février 1951).
Brochure FAEMA 1950
41. Brochure FAEMA de 1950.

Anecdote plutôt intéressante, la première brochure pour les machines à café espresso de la société FAEMA (qui date certainement de 1950) montre des photos d’un atelier où l’on distingue, sur les établis, des modèles Classica de Gaggia. Elle porte aussi, en couverture, une représentation d’une des premières « Macchina ad idrocompressione » FAEMA, la Saturno (identique à la Nettuno mais avec, à l’arrière, une grille horizontale plutôt que verticale). À côté, une pin-up tendant une tasse de café d’une main tout en caressant un levier de l’autre. Ce qui choque, ce n’est pas tant la lascivité de la scène, ou la crema très faible sur le café de grand volume, mais plutôt le fait que l’illustration est signée Boccasile. Gino Boccasile, l’auteur des affiches de propagande du régime fasciste italien durant la Seconde Guerre mondiale… une faute de goût qui n’aura certainement pas échappée à Camillo, lui qui a connu la prison pour ses prises de position politique au début de la guerre et qui travaille alors au futur modèle de la société Gaggia.

À suivre…

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⁵. C’est à Milan, sur la Piazza Loreto où le régime fasciste avait fait fusiller quinze partisans un an plus tôt que son corps est exhibé pour l’exemple, suspendu à la structure d’une station Esso avec six autres personnes (dont sa maîtresse Claretta Petacci).
⁶. «L’anima dell’industria: un secolo di disegno industriale nel Milanese», Anty Pansera (1996), p.142
⁷. «Coffee floats, tea sinks», Ian Bersten (1993).
⁸. Photo que Paul Pratt a d’abord postée sur Home-Barista, avec son aimable autorisation.
⁹. Passage retranscrit dans «La buone società Milano industria», de Ugo Bertone, Roberto Camagni et Marco Panara (1987). Dans le texte: « Una mattina di dicembre del 1947, in uno dei bar più frequentati di Milano, il Donini di San Babibla, i soliti consumatori di caffè e cappuccini ritardarono di cinque minuti i loro affari, avvinti da una importante novita. Sul banco, al posto della vecchia macchina sbuffante e bisbetica, ve n’era una nuova: non solo, ma di modello mai visto. Anzitutto invece di avere la solita forma verticale, ad ogiva, era orizzontale; poi, niente fischi di vapore, niente nuvole di fumo e sordi borbottii. Il caffè gocciolava dai becchi, silenzioso e lento come le prime piogge, spinto da una forza oscura e misteriosa. Il barista, fiero dell’attenzione prestatagli, si limitava ad abbassare certe leve, le quali si rialzavano da sole… ». Così molti anni fa scriveva Giancarlo Fusco.
¹⁰. «Tea & Coffee Trade Journal» (April 1st 1990).
 
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Publié par le 23 juin 2017 dans Histoires et Histoire

 

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