Ôde aux Créateurs (Acte I, Allegro)
Publicité pour les modèles Orso de Figli Sanitini, 1919.
Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les soldats qui ont la chance de rentrer chez eux ont pris l’habitude du mauvais vin et du mauvais café. Loin d’une coïncidence, l’« espresso » (désignant tout autant la boisson sortant des grosses chaudières cylindriques que des petites cafetières domestiques) se développe et se répand comme trainée de poudre. Ce mot, « espresso », dont la première trace semble avoir traversé le temps grâce à la célèbre photo de la foire de Milan de 1906, remplace petit à petit le mot « Express », utilisé jusque-là. La transition d’Express à Espresso est à l’image de la dissolution des derniers liens avec la glorieuse époque française : si le terme Express puis Expresso a perduré en France, il en va différemment chez son voisin italien… et c’est là, dorénavant, et presque exclusivement que la partition va désormais s’écrire.
Cafetière de Leopoldo Giussani, vers 1900.
Lampe Aquilas, cafetière Aquilas et cafetière Adele de l’entreprise Fratelli Santini (vers 1910, 1920 et 1930).
De 1898 à 1947, le développement des cafetières italiennes est fulgurant. Profitant certainement d’un repli des populations sur elles-mêmes, d’une envie de retrouver un peu de confort chez soi, le nombre de cafetières et incidemment de marques et d’officines produisant des machines à café explose. Les villes de Turin et de Milan se font alors compétition pour tenir le haut du pavé, mais c’est dans une ville plus éloignée que l’histoire prend sa source.
Entreprise Fratelli Santini, différentes en-têtes de l’entreprise de 1900 à 1940.
Avant l’arrivée de l’électricité, phénomène qui participera aussi grandement à l’essor des petites cafetières, le chauffage se fait sur le foyer ou grâce à un brûleur, comme sur les cafetières de Leopoldo Giussani (Milan) ou celles des frères Santini et leur modèle emblématique « Aquilas ».
Produits vendus pas Fratelli Santini, début XXe.
Fondée par Orfeo Santini en 1859 à Ferrara, dans le delta du Pô, l’entreprise des frères Santini (ses fils Silvio, Umberto et Paolo) fabrique d’abord des lampes à pétrole et à acétylène¹ puis des réchauds. Au tournant du siècle, c’est tout naturellement que l’entreprise se tourne vers la fabrication de cafetières en gardant les mêmes noms de marques que pour ses lampes : « Aquilas » pour la fratrie Santini et « Orso » pour les fils Santini (entreprise fondée par les fils Orfeo et Antonio de Silvio Santini, à sa mort en 1914).
Publicité pour « Aquilas », entreprise Fratelli Santini 1908 et 1924.
Publicité pour « Orso », entreprise Figli Santini 1919.
Leur succès en inspire d’autres à Ferrara : Stella, SIMERAC et Velox voient aussi le jour dans cette ville. Stella, marque de l’Officine Metallurgiche Sgarbi, Chiozzi & C., présente un peu le même parcours que Fratelli Santini² : fondée en 1924 par Gino Sgarbi et Girolamo Chiozzi, elle fabrique des lampes à acétylène puis étend ses activités vers la production de cafetière. En 1932 elle reprendra d’ailleurs l’entreprise Figli Santini après sa faillite³ (annoncée en 1929 alors qu’elle venait tout juste de lancer deux nouvelles marques : « Z » et, spécifiquement pour des cafetières, « Sport » qui n’existeront certainement jamais). L’entreprise Fratelli Santini, elle, continuera ses activités jusqu’aux années 1970.
Publicité pour « Stella », entreprise Scarbi, Chiozzi & Co, début XXe.
SIMERAC (acronyme de Stabilimento Industriale Materiale Elettrico Ragionier Antonio Cotechini) et Velox (la fabrique associée à cette marque enregistrée à Milan par un certain Rino Cazzanti était établie à Ferrara) produisent aussi des cafetières express de format familial munies de tubes de sortie, mais aussi des modèles avec porte-filtre.
Publicité et brochure de SIMERAC, début XXe.
Remontant le fleuve Pô (le plus important fleuve d’Italie prenant sa source dans les Alpes et traversant le pays d’ouest en est en passant par Turin), ces cafetières envahissent bientôt toute l’Italie et, témoin de ce succès, on en retrouve encore aujourd’hui de nombreux exemplaires dans les brocantes.
Dépôt de marques pour des cafetières auprès de l’OPAC, de 1898 à 1947.
Plusieurs autres fabricants leur emboitent le pas et se mettent à produire des modèles similaires fonctionnant sur le même principe (soit celui de Rabaut, où l’eau est poussée par la force de la vapeur à travers la mouture et ressort par un tube) : Invicta, Select, Watt, Luxor, Omega, Simplex, Universal, Icea, MRT, Nea Lux, Zappia, Giussani, Vulcan et même les grandes marques comme Eterna, Victoria Arduino (avec la Venus Moka), La Carimali et La Pavoni.
Publicité pour Eterna et modèle Baby Lutetia de la marque fondée par Angelo Torriani, début XXe.
Publicité et modèle de la marque Oikos, début XXe.
Évolution des innovations sur les modèles de cafetière à vapeur domestiques
avec tube de sortie sur les brevets déposés entre 1881 et 1945.
D’autres s’orientent vers une configuration de type « porte-filtre » (le café étant placé dans un réservoir, juste à la sortie). On doit apparemment à l’allemand Eicke (comme en écho à Römershausen et avec un design rendant hommage au balancier de Gabet) cette configuration qui aura de beaux jours devant elle, puisque c’est cette lignée qui donnera, en particulier, la cafetière dite «Atomic» de Giordano Robbiati, si chère au cœur de mon ami Mikaël.⁴
Évolution des innovations sur les modèles de cafetière à vapeur domestiques
avec réservoir de sortie sur les brevets déposés entre 1881 et 1945.
Publicité pour les modèles Eicke de 1897 et 1927.
Autre lignée et non des moindres, la branche « Moka », si chère au cœur de mon ami Lucio.⁵ Là aussi, la machine semble trouver sa source en Allemagne avec l’invention (de 1887) d’Ehrlich, baptisée « Vienna ». On connait aujourd’hui cette cafetière comme la cafetière italienne ou « Bialetti », sa forme emblématique (à deux étages et à facettes) trouve peut-être sa source dans une invention Allemande de 1913, celle d’un certain Richard Gross, ainsi que dans le design de McGuire (1926). Alfonso Bialetti aurait fondu sa première machine en Aluminium autour de 1933, avec des facettes déjà, mais avec une forme plus arrondie.⁶ Il n’enregistre le nom « Moka Express » qu’en 1948 et la marque n’est pas encore « Bialetti » mais « ABC » (pour Alfonso Bialetti Crusinallo, son lieu d’établissement). Ce n’est que dans les années 60 qu’est adopté le fameux bonhomme à moustache créé par Paul Campani dont le physique n’est pas sans rappeler le nouveau patron Renato lui-même (fils d’Alfonso).
Évolution des innovations sur les modèles de cafetière à vapeur de type cafetière italienne
sur les brevets déposés entre 1887 et 1931.
Publicité pour le modèle Vienna, autour de 1900.
Publicités de 1927 et 1928 pour des modèles de cafetières produits en Allemagne (type Vienna).
Atelier de fonte d’aluminium d’Alfonso Bialetti (à gauche) vers 1930.
Premier modèle de cafetière des ateliers Bialetti, 1933.
Dépôt de marque de l’entreprise Bialetti de 1948 à 1960.
Deuxième modèle d’Alfonso Bialetti et son premier brevet, 1950.
Pour compléter la gamme, finissons avec une note sur un principe qui avait été développé par des Français (Mayer/Delforge en 1852 et Lavigne en 1854). L’arrivée de la cafetière à piston telle que nous la connaissons aujourd’hui est le fait d’Italiens : Attilio Calimani, Ugo Moneta, Ugo Paolini et Bruno Cassol déposent des brevets pour ce type de cafetière entre 1928 et 1934. Les inventeurs sont tous associés à la famille Moneta (Ugo, Gemma, Alessandro et Giuseppe) qui possède la marque «Melior» de Milan.
Évolution des innovations sur les modèles de cafetière à piston sur les brevets déposés entre 1928 et 1934.
Publicités de 1936 et 1940 et dépôts de marque pour « Melior » auprès de l’OPAC 1929 et 1933.
Passage de flambeau encore une fois, décidément ce ne sont plus les français qui dictent la musique, à peine suivent-ils le tempo. Douce revanche, ce type de cafetière s’appelle encore aujourd’hui « French Press » en anglais.
À suivre…
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